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la mamelle et les hommes sachant jouer d’un instrument à vent : le général prévoyant pensait au recrutement de sa musique ! La ville, de par la volonté du vainqueur, s’appela longtemps : « Les nez coupés[1]. »

Kirtipour prise, Prithi Narayan s’attaque à Patan. C’est alors que les Mallas, affolés, appellent pour la première fois à leur secours la Compagnie des Indes. L’expédition anglaise, arrêtée dans le Téraï par les pluies et la « malaria, » doit rebrousser chemin sans avoir atteint la vallée ; mais la leçon n’est pas perdue pour Prithi Narayan ; une fois maître du pouvoir, il se hâtera d’expulser les Capucins et d’interdire l’accès du pays aux marchands étrangers. « Le marchand amène la Bible, et la Bible amène les baïonnettes, » dit un adage gourkha.

Le 29 septembre 1768, Prithi Narayan entre de nuit à Katmandou pendant que la population se livre à l’orgie pour la fête de l’Indra yatra ; le roi Malla n’a que le temps de s’enfuir à Bhatgaon et, le lendemain, quand la procession de la Kumari, portée sur son char à trois étages, défile devant le palais royal, c’est le Gourkha qui est assis sur le trône et qui salue le cortège. Après Katmandou, Patan succombe : le conquérant fait aux nobles de la ville les plus belles promesses, puis, il les fait tous arrêter, tuer ou mutiler. Les deux rois vaincus se sont réfugiés à Bhatgaon. Le roi de cette ville, trahi par ses sept fils, se rend au vainqueur ; il reçoit l’autorisation de se retirer à Bénarès, tandis que les sept traîtres ont le nez coupé. Au sujet du dernier roi de Katmandou, Jaya Prakaça, les annalistes rapportent une histoire bien caractéristique des croyances hindoues. Le roi blessé, détrôné, demande à être transporté à Pashpati, pour mourir au bord de la sainte Baghmati. Cette faveur lui est accordée et les aumônes rituelles sont mises à sa disposition ; mais il refuse d’accepter autre chose qu’un parasol et des chaussures. En entendant cette réponse, Prithi Narayan se trouble : le parasol est un insigne de la dignité royale et les chaussures évoquent la terre, épouse des rois. C’est donc que le Malla veut renaître roi. Effrayé, le conquérant court à Pashpati, auprès du mourant. « Tu auras tout ce que tu désires, lui dit-il presque suppliant, mais n’en jouis

  1. De telles pratiques n’ont pas encore disparu de l’Asie centrale. M. Jacques Bacot, dans son livre : Dans les marches tibétaines, relate des cruautés analogues dans les luttes entre tribus.