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touchée que nous nous éloignons, nous longeons un merveilleux étang dans lequel se mire, au centre, un joli temple ou pavillon, et après une marche de trois ou quatre kilomètres, nous franchissons une grille, devant laquelle veille une sentinelle abritée dans sa petite guérite en pierre. Au milieu d’un jardin luxuriant dont les pelouses débordent de fleurs, se trouve, dans un fourré verdoyant, un chalet de bois brun : je suis au seuil de la Résidence Anglaise.

Le colonel Macdonald est charmant, tel que me l’annonçaient ses lettres et ses procédés. C’est un vrai gentilhomme, et il parle aisément le français. Esprit fort ouvert, il s’intéresse aux événemens du monde entier et n’a pas cette sorte de détachement des choses d’Europe qu’un long exil donne souvent aux fonctionnaires des Indes. Avec quel plaisir commenterons-nous ensemble, dans quelques jours, les dépêches relatives aux affaires d’Orient, de Turquie et de Bulgarie, qui m’intéresseront si vivement !

Mon rêve est devenu réalité : me voici dans ce Népal que si peu d’Européens ont visité et qui défend si jalousement contre l’étranger son originalité, ses vieilles mœurs et son particularisme. La riche vallée du Népal, qui a donné son nom à l’ensemble du royaume Gourkha, m’apparaît, au premier aspect, comme une large cuvette, oasis verdoyante suspendue à 12 ou 1 300 mètres d’altitude, entre la majesté des glaciers et des pics de l’Himalaya et les abrupts rochers des montagnes escarpées que j’ai franchies pour parvenir jusqu’ici. Le bassin népalais s’étend sur trente kilomètres d’Est en Ouest, au pied de la grande chaîne, sur vingt kilomètres de largeur moyenne. D’autres vallées obéissent au souverain Gourkha, mais le Népal proprement dit est tout entier sous mes yeux ; c’est l’unique domaine dont l’accès soit ouvert à mes ambitions, mais il suffira largement à occuper les jours trop courts que je vais passer à le parcourir.

Dans les monumens de ses trois capitales, Katmandou Bhatgaon et Palan, survit, écrit ou sculpte dans la pierre et le bois, toute une héroïque et dramatique histoire ; un art original a pris ici un prodigieux essor et a exercé son influence bien loin. Au fond des monastères, viharas, loin du fanatisme