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en cascade que je ne pourrais tenir sur mes pieds. Un des hommes de police du Maharaja découvre quatre ou cinq coolies abrités sous un pli de terrain ; il les requiert et les attelle d’office. On croit toujours être au fond, mais la descente toujours continue.

Enfin, nous atteignons ce qu’on nomme « la Petite Vallée » du Népal, à 1 050 mètres d’altitude environ. Un village, son grand bazar, ses cases : c’est Thankot. Plus loin, au milieu d’une prairie, je trouve la tente promise, avec sa double toile et ses deux avancées formant véranda : l’une, ouverte, est affectée en ce moment au service qu’elle abrite de la pluie ; l’autre, par derrière, est close et réservée à ma toilette. Un tapis à raies grises et bleues a été tendu sur un lit de paille ; un fauteuil m’invite à la petite table où m’attend un exquis poulet froid et des œufs, avec du thé bien chaud. Mais, à peine restaurée, je demande à partir aussitôt. Tous les domestiques plient lestement bagage, et la dandi m’amène en dix minutes devant une voiture que ne me laissaient pas espérer les chemins d’arrivée : c’est un grand landau attelé de deux gros chevaux gris, que le Maharaja met à ma disposition. Les saïs[1], juchés par derrière, portent des turbans très serrés, rayés, de toutes les couleurs et bizarrement enroulés. La route étant défoncée, ils descendent à chaque instant pour maintenir les traits ; de leur siège, ils ne cessent de crier aux passans de ne pas se faire écraser, heureux encore quand ils ne sont pas obligés de les prendre par les épaules pour les faire se garer. A moitié route, je suis tout étonnée d’apercevoir sur un pont, rangés de chaque côté, deux chevaux de relais qui nous attendent pour faire une course de seize milles aller et retour. En un clin d’œil, ils sont attelés.

La pluie a cessé. Après avoir traversé plusieurs villages, nous arrivons à Katmandou. Nous contournons la « City[2], » sans y entrer ; le premier aspect me surprend et me ravit. Des pagodes aux curieuses toitures dominent le site, à côté de grands espaces verts, un vaste champ de manœuvre, d’immenses édifices, des palais modernes et blancs, tout cela dans un rayon de soleil couchant ! La ville paraît avoir une importance de capitale que je ne soupçonnais pas ; mais nous l’avons à peine

  1. Coureurs et palefreniers.
  2. C’est ainsi que les Anglais désignent aux Indes les villages indigènes, par opposition aux quartiers européens.