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trois ou quatre rondins plus ou moins bien liés ensemble, qui permettent tout au plus de passer à pied. Après un quart d’heure de marche, voici un troisième pont avec deux pauvres rondins que l’on n’a pas attachés du tout. Cette fois-ci, je reste dans ma dandi et mes kahars passent à pleine eau ; c’est encore plus commode. La rivière est poissonneuse et des filets sont suspendus sur toutes les murailles. Les rives sont très cultivées, les champs s’étagent en riches terrasses et l’irrigation accomplit des merveilles. Les maisons, environnées de cultures, se multiplient ; les portes et les fenêtres, dans leurs châssis de bois ouvragé, respirent l’aisance. A l’intérieur d’une case que nous longeons, une fillette remue sa marmite qui bout sur un faisceau de brindilles. Elle porte dans la narine ces boutons d’ornement que j’ai vus au Punjab et un anneau passé dans le cartilage du nez.

Nous arrivons maintenant à Markoukoh, et j’aperçois, non sans surprise, un grand pavillon moderne, au creux de la vallée, dont la façade et les balcons blancs se détachent sur le fond vert d’une prairie ; c’est le bungalow de passage du Maharaja. Combien me plaît davantage, près du nouveau pont voisin, une vieille maison oblongue, en bois sculpté ! Comme j’en aime la galerie à colonnades, ouverte au rez-de-chaussée, et les fenêtres closes de moucharabiés. C’est encore un dharmsala à l’usage des pèlerins et des voyageurs, et qui sont comme une annexe rituelle des monumens religieux. Ces précieux chefs-d’œuvre de la sculpture sur bois, qui fait la gloire du peuple newar, s’offriront en grand nombre à mon admiration, dans Katmandou.

Non loin de là vont commencer les premières pentes du Chandraghiri qui nous mèneront au cul-de-sac de Chitlong et au pied même de la passe. Autour de nous, tout est verdoyant, bananiers, orangers et grands pins. Un bel arbre échevelé marie la couleur lilas de ses fleurs à des graines jaunes qui retombent en grappes. Près des maisons, je remarque souvent, placées en avant, de chaque côté de l’entrée, d’élégantes meules de maïs, très bien faites, avec les épis en dehors, et montées sur pilotis à deux mètres de terre ; elles s’élèvent en hautes pyramides que dépasse, comme une flèche, la pointe de la pique qui les maintient dans leur allure de dagoba.

La température devient de plus en plus lourde ; de gros nuages ne prédisent rien de bon ; quelques coups de vent bienfaisant sont eux aussi de mauvais signes précurseurs de la pluie