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fonctionnaire de Raxaoul, le Khansamah du bungalow et mon bearer[1] parlent hindoustani. Mais celui-ci ne sait pas le népalais et il embrouille tout sous prétexte de placer devant les autres des mots anglais dépourvus de leur vrai sens ou tout à fait inédits. L’hindoustani, l’ourdou, pour employer son vrai nom, la langue de la horde apportée dans les camps par les Mogols musulmans est, dans les Indes, la langue interprète par excellence. Les Anglais l’ont adoptée d’une façon générale, chaque fonctionnaire doit la savoir, sans préjudice des plus importantes langues parmi les deux cents qui se pratiquent aux Indes. Ils ont compris l’intérêt de premier ordre qu’il y a pour l’administrateur d’entrer en contact direct avec la population en se servant de sa langue. Nul fonctionnaire ne peut entrer au Civil Service sans savoir, outre l’hindoustani, deux autres langues indigènes. Espérons que, peu à peu, la même idée fera son chemin dans notre Indo-Chine et que l’obligation pour les fonctionnaires coloniaux de connaître la langue locale sera strictement appliquée et supprimera définitivement l’ingérence et les méfaits de la classe des interprètes.

Mais revenons au bungalow de Raxaoul, dans la grande plaine chaude ; là, il faut remanier tout le bagage et emporter le moins possible, me dit-on, bien qu’une caravane importante soit commandée. Quand vient l’heure du dîner, mon journal se trouve au courant, et tout un paquet de lettres est prêt pour les Indes et pour la chère France.

J’aurais voulu partir avant la fin du jour, mais les coolies s’attardent à manger, et c’est dans la nuit noire, avec les lampes qui achèvent d’aveugler, qu’il faut organiser tout le chargement et mon palki. Pour comble de malheur, le petit matelas qui, le matin, adoucissait les planches du palanquin a disparu, et le gros de mes bagages, que le bearer a cessé de surveiller à l’un de nos nocturnes embranchemens, est en souffrance avec mon bedding[2]. Or, le nouveau palki que l’on m’amène est muni d’une traverse à la hauteur des reins dont je n’augure rien de bon. Enfin, et malgré mon serviteur, je parlemente si obstinément qu’on me rend le premier palki, un peu plus lourd sans doute, mais aussi plus hermétique à la pluie.

Les préparatifs se prolongent. Une vraie meute est autour

  1. C’est le boy, chef des domestiques. Il était d’ailleurs seul en ce temps.
  2. Bagage de la literie.