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un palki, le palanquin qui m’est destiné pour deux nuits. Je me glisse dans la boîte tendue de rouge à l’intérieur. L’avant et l’arrière de mon appareil sont munis chacun d’un gros bâton rattaché aux quatre angles par des tiges de fer ; quatre coolies porteurs, des kahars, enlèvent prestement la boîte et son contenu. Le manque d’équilibre m’oblige à m’allonger sur le mince matelas recouvert d’une simple toile, la tête sur l’oreiller, pour me rendre au Rest-House, le bungalow[1] du Résident du Népal, où nous serons dans dix minutes.

Le bungalow est confortablement installé dans la plaine du Téraï, longue zone marécageuse qui s’étend au Sud de l’Himalaya, sur 900 kilomètres de longueur et 50 de largeur. L’aoul, fièvre meurtrière, y sévit, redoutée des indigènes qui ne sont pas de la région, aussi bien que des Européens ; les Népalais se gardent de l’assainir parce qu’elle constitue, en quelque sorte, une première défense naturelle et dangereuse des deux passes escarpées, gardiennes gigantesques de la douce vallée qui n’est plus qu’à l’altitude de 1 200 et 1 300 mètres.

Autour du Rest-House, un petit cercle de fleurs et la fuite infinie des champs sous le soleil de flamme, dès l’heure matinale. Dans une salle à manger ouverte aux quatre points cardinaux, la table servie m’offre du thé et des œufs, spectacle plein de charme pour le voyageur qui n’a pas dîné la veille. Avant de déjeuner, je prends possession des lieux : un grand parloir avec tables et fauteuils de paresse, puis deux chambres, deux cabinets de toilette et salles de bain. Vite au tub, avant que mon estomac ne s’avise d’avoir trop faim. Mon sac-draps posé sur un tcharpaï, cadre de lit, serait tentant pour rattraper la nuit ; mais il y a 34 et 35° de chaleur à neuf heures du matin ; ce n’est plus l’instant de dormir, mieux vaut s’occuper. On me remet une lettre du colonel Macdonald, mon futur hôte, qui remplit les fonctions de Résident au Népal en l’absence de M. Manners Smith, le titulaire du poste. Il me propose de partir en palki le soir même, après dîner, pour Churia, une étape de 30 milles dans la première nuit. Le Khansamah du Rest-House m’y accompagnera et je l’y laisserai, tandis qu’un autre cuisinier viendra à

  1. On appelle bungalow, — dâk bungalow, — quelquefois Rest House (maison de repos) les asiles réservés aux fonctionnaires en tournée de service. Ils sont gardés par un khansamah (cuisinier) ou un simple gardien, selon l’importance de la circulation.