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j’aurais déjà fait ma fortune. — C’est que du plaisir vous auriez fait un vice. » — « Elle embellit tout ce qu’elle porte, et pourtant elle n’est pas jolie, remarque un voisin. — Oh ! monsieur, riposte Déjazet qui avait entendu, que n’ai-je la force de vous porter ! » — En recevant un pâté gâté : « Voyez ce que c’est qu’une bonne action lorsqu’elle se fait attendre ! » — « Avec de l’argent, on peut tout faire. — Alors vous feriez tout pour de l’argent ? » — « Qu’il est fâcheux d’appartenir au public, lui disait une dame ! — Je me trouve moins à plaindre quand je vois tant de femmes qui ne s’appartiennent pas. » — « Comment me trouves-tu dans ce rôle, lui demande un acteur pendant un souper ? — Comme ce Champagne, excellent ! — Ah ! tu me flattes ! — Excellent, mais pas naturel. » — « Entre vous et le public, il y a sympathie. — Oui, mais c’est moi qui fais les avances. » — « Presque tous les enfans sont bavards. — Presque tous sont élevés par des femmes. » Sa mère lui reprochant de donner toujours aux pauvres : « Tu me disais que je ne sais pas placer mon argent. » — Elle était dans la coulisse d’un théâtre réputé pour le laisser aller de ses figurantes ; quelqu’un lui prend la taille : « Vous vous trompez, monsieur, je ne suis pas de la maison. » On discutait sur le point d’honneur ; quelqu’un l’interrogea : « Si vous étiez un homme, que diriez-vous ? — Et vous, monsieur, si vous étiez un homme, que feriez-vous ? » — Un parasite qu’elle recevait obtint une place assez lucrative : « Enfin, je vais donc pouvoir le mettre à la porte ! »

L’esprit de Déjazet se parfumait de bonté : ayant rendu beaucoup de services, elle avait rencontré beaucoup d’ingrats, et lu rancœur douloureuse de ces méfaits, jointe à sa verve naturelle, et aux déceptions du métier, lui inspiraient des mots amers qu’elle ne retint pas toujours entre ses lèvres. Ainsi la grosse Léontine, croyant lui être agréable, contait que les titis lavaient surnommée la Déjazet du boulevard du Temple. — « Cela ne m’étonne pas, dit-elle, le Duc d’Orléans avait aussi dans ses écuries une jument qui portait mon nom. » Parlant* de son élève Céline Chaumont, elle l’appelait : mon singe.

Parmi les personnages et gens célèbres qui apprécièrent Déjazet, figurent la duchesse de Berry, Dumas, Béranger, Victorien Sardou dont elle devina le talent, et qu’elle mit en pleine lumière. Elle avait créé le rôle de Léon dans la Petite Sœur, jouée pour la première fois, le 6 juin 1821, devant la