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réunissent ; on se querelle, on se déteste, on s’aime sans ou avec épithète, d’amour ou d’amitié ; on soupe, on répète, on triomphe, on est battu ensemble. L’amour-propre inextinguible de la gent comique fomente des discordes ; plus d’un auteur se montre grincheux envers elle, ou trop aimable pour ses premiers rôles féminins. Mlle  Mars était parfaite de courage, de talent, de probité artistique, après la première représentation ; mais avant, que d’observations, de coups d’épingles au pauvre auteur, que de conseils plus ou moins hasardeux, de prétentions draconiennes ! Alexandre Dumas raconte le trait suivant ; je résume son récit, un peu arrangé peut-être. On répétait Hernani ; au milieu de la répétition, Mars avait taquiné Victor Hugo à propos du fameux vers

Vous êtes, mon lion, superbe et généreux…


parce qu’il lui semblait drôle d’appeler Firmin mon lion. Le lendemain, même jeu, et ainsi de suite, chaque fois qu’une tirade lui déplaisait. Un jour, la patience échappa au poète. « La répétition finie, il monta sur le théâtre, et, s’approchant de Mlle  Mars : « Madame, dit-il, je voudrais bien avoir l’honneur de vous dire deux mots. — À moi ? répondit Mlle  Mars, étonnée de la solennité du début. — À vous. — Et où cela ? — Où vous voudrez. — Venez alors. » Mars conduit Hugo dans ce qu’on appelait alors le petit foyer. Louise Despréaux, qui s’y trouvait, sortit discrètement, mais colla, sans doute, son oreille à la porte. « Eh bien ! interrogea doña Sol, que vouliez-vous me dire ? — Je voulais vous dire, madame, que je viens de prendre une résolution. — Quelle résolution, monsieur ? — Celle de vous redemander votre rôle. — Mon rôle ! lequel ? — Celui que vous m’aviez fait l’honneur de réclamer dans mon drame. » Stupéfaction, colère de Mars. « Ah ! par exemple, voilà la première fois qu’un auteur me redemande son rôle ! — Eh bien ! madame, je crois qu’il est bon que l’exemple soit donné et je le donne. — Mais enfin, pourquoi me le reprenez-vous ? — Parce que je crois m’apercevoir d’une chose, madame, c’est que, quand vous me faites l’honneur de m’adresser la parole, vous paraissez ignorer complètement à qui vous parlez. — Comment cela, monsieur ? — Oui, vous êtes une femme d’un grand talent, je sais cela… Mais il y a une chose dont, je le répète, vous semblez ne pas