Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/842

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

situation toujours grandissante, peut-être jusqu’à l’exagération, puisque, aujourd’hui, nombre de jeunes filles de bonne famille veulent entrer au théâtre, poussées par la chimère d’une irrésistible vocation, ignorant les difficultés et les dangers qui menacent les débutantes.

Louise Contat, Mars, sont deux enchanteresses, qui recherchent tous les genres de succès, succès d’amour, succès de salons, succès de théâtre, grandes dames de ton et de manières, impérieuses, jalouses, capricieuses, insinuantes, incapables d’abdiquer, fortes de volonté et de diplomatie, complexes et protéennes, aussi habiles à réparer une bévue qu’à composer un rôle, à ciseler une épigramme qu’à organiser un souper. Charles Brifaut, dans ses charmans Mémoires, raconte sa visite à Charles X, accompagné de Guiraud, après leur réception à l’Académie française. « On traita divers sujets, sérieux et badins. Enfin, il fut question du théâtre, lieu commun inévitable en présence de deux tragiques. Le Roi, qui avait eu du goût pour Mlle Contat, ne manqua pas cette occasion de faire l’éloge de l’admirable actrice ; et puis vint naturellement la critique des acteurs nouveaux. « Quel mauvais ton ! Quel défaut d’élégance ! Quelle ignorance de tous les usages ! Ah ! la politesse et la grâce sont perdues depuis la retraite de Mlle Contat. — Sire, sire, m’écriai-je, Votre Majesté oublie Mlle Mars. — Oui, oui, vous avez raison ; celle-là, encore, elle est la conservatrice des bonnes traditions ; mais, après elle, rien. — Aussi est-ce son désespoir, sire. Elle a surtout un interlocuteur obligé, M. Damas, qui l’embarrasse cruellement par la brutalité de son jeu. Elle m’en parlait l’autre jour, presque en pleurant ; et moi, je lui répondais : « Tâchez de vous passer de lui. Il y a là un jeune acteur, doué d’esprit et d’intelligence, formez-le, faites entrer votre âme dans cette enveloppe-là, et vous verrez. — Oh ! bon, réplique-t-elle ; croyez-vous qu’il m’écoute ? Hier, j’ai voulu lui donner un conseil. Savez-vous sa réplique ? « Mademoiselle, je n’ai pas besoin de leçons ; ici nous sommes tous égaux. » — Hélas ! ai-je dit à la pauvre actrice, il ne faut pas songer à ce drôle : s’il croit à l’égalité, il fera un mauvais marquis. — Et le Roi, que fit-il ? — Le Roi se prit à rire. »

Un auteur sans actrices, des acteurs sans auteurs, cela ne se comprend guère, bien que les comédiens aient souvent regretté de ne pouvoir se passer de leurs modestes collaborateurs. Et donc, la force des choses, l’occasion, l’herbe tendre, les