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du salon, reçoit les plus grands personnages, la comtesse de Toulouse, le duc de Penthièvre, et, chose inouïe, il devint de bon ton de lui présenter les nouvelles mariées au contrat desquelles le Roi avait signé, privilège réservé à l’archevêque, au gouverneur de Paris et à l’abbesse de Saint-Antoine. Sa sœur, Françoise Quinault, n’eut guère moins d’influence, avec son fameux biner du Bout du Banc, où s’empressaient les hommes les plus spirituels et les plus titrés. Le salon de Mlle Dangeville était aussi fort achalandé.

La Duclos, qui succède à la Champmeslé dans la faveur du public, a son peintre, son poète, ses graveurs, une légion d’amans, entre autres le duc de Coislin qui la mit dans son testament, et quelle gouvernait haut la main ; mais, à cinquante-cinq ans, elle commit la folie de s’amouracher d’un jouvenceau de dix-sept ans, et de l’épouser. Avec cela glorieuse, fort décidée, la tête près du bonnet, au point de souffleter sur la scène son camarade d’Ancourt qui, chargé de tourner pour elle une annonce d’excuses, avait fait un geste peu décent ; au point d’apostropher les spectateurs qui s’avisaient de rire au milieu d’une scène pathétique : « Ris donc, sot parterre, à l’endroit le meilleur de cette tragédie ! »

Homme à bonnes fortunes autant et plus même qu’il ne voulait, vivant dans la meilleure compagnie, idole du public, Jélyotte protège ses compatriotes de Toulouse, obtient pour eux toutes sortes de grâces. De même pour Lekain, Molé, Préville, Fleury, Elleviou. Succès de théâtres, bonnes fortunes grisent Mole, l’entraînent dans un véritable délire de fatuité ; il traite les auteurs du haut de sa grandeur, rendant à celui-ci son manuscrit, qu’il n’a pas ouvert, après avoir déduit copieusement les raisons de son refus (or, ce manuscrit n’est qu’un rouleau de papier blanc), faisant attendre Colin d’Harleville pendant des mois avant d’écouter la lecture de l’Inconstant Le public, la société, semblent prendre plaisir à favoriser ses travers.

En 1795, lorsqu’une loi fonda l’Institut, réunit en corps les diverses classes, on créa pour celle des Beaux-Arts une section de musique et de déclamation, dont Molé fut nommé membre avec Méhul, Grétry, Gossec, Préville et Monvel. Mais, en 1803, le Premier Consul révisa l’œuvre de Lakanal, de Daunou et de Carnot, trop libérale à son gré : la classe des Beaux-Arts ne dut comprendre désormais que des créateurs, et les comédiens