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Un Latin, laisse deviner sa pensée secrète. Offrir un rôle de tutelle et de conciliation à la Russie ou à l’Empire austro-hongrois, ce serait les induire en tentation, ce serait faire rentrer par la fenêtre le loup chassé de la bergerie par la porte. L’Allemagne est trop étroitement unie à l’Autriche, elle a trop d’intérêts en Turquie, et elle y a exercé, en ces dernières années, une influence trop considérable pour que ses directions puissent être acceptées sans défiance. La France ou l’Angleterre pourraient être choisies comme arbitres et comme tutrices par les Etats balkaniques associés, car elles n’ont ni l’une ni l’autre d’ambitions territoriales dans la péninsule ; la France surtout a eu l’art d’agir à la fois comme émancipatrice des nationalités et comme protectrice de l’intégrité de l’Empire Ottoman ; aussi bien pour les Turcs que pour les Grecs, les Slaves ou les Roumains, son nom signifie liberté politique, émancipation des nationalités. La France, en outre, bénéficie de l’incomparable autorité morale qu’elle doit au prestige de sa civilisation, de sa langue partout répandue dans le Levant et de la glorieuse histoire de ses relations avec la Turquie. Mais ni la France, ni sans doute l’Angleterre, s’il était fait appel à leurs bons offices, n’auraient lieu de s’en réjouir ; elles pourraient se trouver entraînées dans des complications inextricables ; leurs relations avec la Russie et avec l’Autriche deviendraient plus difficiles, et il n’est pas certain qu’elles recueilleraient, même en gratitude platonique, le bénéfice de leur bonne volonté. Il est donc, à tous points de vue, préférable que les Etats balkaniques agissent de leur propre initiative, à leurs risques et périls ; ce n’est même qu’à cette condition que la naissance d’une union balkanique serait souhaitable.

Dans l’état actuel de l’Orient, l’établissement d’une confédération, voire la conclusion d’une simple alliance défensive entre les Etats de la péninsule se heurterait à une grosse difficulté : Quels seraient, dans une telle combinaison, le rôle et la place de l’Empire Ottoman ?

La Turquie n’est pas seulement européenne, elle est surtout asiatique. S’il est exagéré de dire, en reprenant un mot fameux, que les Turcs ne sont que campés en Europe, il est certain cependant que c’est d’Asie qu’ils sont venus, d’Asie qu’ils tirent leur force principale ; en Europe, même là où ils se sont implantés, les vieilles races indigènes les regardent comme des