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de grands remaniemens territoriaux, c’est-à-dire une crise européenne et probablement une guerre générale ; aussi personne n’ose-t-il en prendre l’initiative. Les savans, les professeurs, les publicistes s’évertuent en vain à démontrer les mérites de l’idée fédérative ; les hommes d’Etat hésitent à les suivre : le risque est trop gros.


II

La Révolution turque de juillet 1908 a modifié profondément l’aspect et les données du problème. Les grandes puissances et les petits Etats balkaniques eux-mêmes, — les récentes visites royales à Constantinople en sont la preuve, — sont d’accord pour laisser à la Jeune-Turquie le temps de faire ses preuves. Si elle échoue dans son œuvre de réorganisation et de « modernisation, » la preuve sera faite que la race ottomane est incapable de se régénérer par elle-même et, de nouveau, il pourra être question de lui substituer d’autres peuples. Si au contraire elle réussit, l’Empire Ottoman régénéré gardera sa place dans l’Europe orientale. Ce n’est donc plus d’une confédération destinée à remplacer la Turquie qu’il s’agit pour le moment, mais d’une combinaison qui la consoliderait en réglant ses rapports avec les Etats balkaniques et en la mettant à l’abri de toute ambition étrangère. Plus d’homme malade, donc plus de médecins, encore. moins d’héritiers[1].

Du même coup, toute la politique de la Russie et de l’Autriche-Hongrie vis-à-vis de l’Empire Ottoman se trouve modifiée ; ni l’un ni l’autre des deux Empires rivaux ne peut plus être tenté, comme autrefois, de constituer une confédération balkanique avec l’espoir qu’elle ne saurait manquer de devenir l’instrument de ses visées particulières. Mais ni l’un ni l’autre non plus n’a intérêt à s’opposer à la formation d’une confédération dans laquelle entrerait la Turquie et qui arrêterait, d’où qu’elles viennent, toutes les tentatives ambitieuses sur la péninsule. Pour la Russie, le temps n’est plus de réaliser le rêve de Pierre le Grand et de Catherine II : le chemin de Byzance est fermé.

  1. Hilmi Pacha, ancien grand vizir, lors de son récent passage à Paris, disait à un journaliste : « La Confédération des États balkaniques est un rêve, mais avec la régénération de la Turquie et une bonne armée — une bonne armée est indispensable — ce rêve pourra, je l’espère, devenir une réalité. »