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ceci, probablement le 20 juin. Charles VII n’avait pas oublié ce qu’il avait souffert quand Richemont s’était cru le maître. Le meurtre du sire de Giac avait laissé, dans son âme inquiète, un souvenir affreux. Jeanne obtint le pardon, non la rentrée en grâce. Le connétable ne fut même pas admis à prendre sa place dans l’armée royale où il eût occupé nécessairement le premier rang. Il dut s’en retourner avec ses 1 200 combattans.

Jeanne, en intervenant ainsi, avait pris position dans les querelles de Cour. Tout porte à penser qu’elle avait froissé l’âme rancunière du jeune Roi. Il ne dit rien : mais, à partir de ce jour, ses sentimens se sont modifiés. La première fissure est là : « Fut la Pucelle moult marrie du long séjour que le Roy avait fait au dit lieu de Gien, par aulcuns des gens de son hostel qui lui déconseilloient de entreprendre le chemin d’aller à Reims et par despit se deslogea et ala logier aux champs[1]. »

En somme, Jeanne d’Arc, à l’issue d’une crise, qui se produit d’une manière si imprévue au lendemain d’une si belle victoire (20-27 juin), se trouve doublement en conflit avec les favoris et les ministres du Roi : elle avait appuyé le connétable, et ce sont de ces interventions que les partis ne pardonnent pas ; d’autre part, elle conseillait le voyage de Reims, c’est-à-dire qu’elle se prononçait pour la politique anti-bourguignonne.

L’autorité qu’elle a conquise, l’influence qu’elle exerce sur l’armée, sur les populations du royaume sont telles que personne n’ose encore s’opposer délibérément à ses conseils. Sa mission s’affirmait de plus en plus, dans son caractère divin. Le haut clergé, les docteurs, les moines se prononçaient. C’était une piété et un élan universels. Et puis, l’idée mystique du couronnement avait un prestige décisif.

Les courtisans s’inclinèrent donc encore une fois ; mais, pour eux, ce n’était que partie remise. Les délibérations de Gien avaient marqué la première étape de l’abandon.


GABRIEL HANOTAUX.

  1. Perceval de Lagny, Procès (t. IV, p. 17).