Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/757

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et qui a ramassé toutes les garnisons des places de la Loire, était battue à Patay ; les chefs les plus renommés, Suffolk, Talbot étaient faits prisonniers. Quant aux soldats, affolés, démoralisés, ils fuyaient de toutes parts.

Le Conseil renonçait à cette campagne de la Loire commencée « on ne sait sur quels conseils, » écrivait Bedford ; les débris de l’armée battue se replient par Etampes, de Corbeil sur Paris ; on se demande si on pourra tenir dans la capitale et défendre même la Normandie.

C’était le succès : il n’y avait plus qu’à suivre !


À ce moment eut lieu, dans-les conseils du roi Charles VII, une délibération des plus graves, et il se produisit, en même temps, entre les partis qui se divisaient la Cour, une crise qui fut un premier avertissement pour Jeanne.

A la suite de cette étonnante campagne qui en six semaines, avait nettoyé le pays d’entre Loire et Seine, que fallait-il faire ? Se porter sur la Normandie de façon à tenter de couper la retraite aux Anglais, ou bien, selon le conseil de Jeanne d’Arc, marcher sur la Champagne pour faire couronner le Roi à Reims ? Le problème se posait ainsi : s’en prendrait-on aux Anglais ou aux Bourguignons[1] ?

Jeanne était appelée vers Reims par la pensée mystique du couronnement et peut-être aussi par l’attraction qu’exerçait sur elle son pays d’origine, la région de l’Est. Elle n’aimait pas les « Bourguignons. » (I, 65, 66.) Le vrai duel pour elle était là. Les Bourguignons du Conseil, suivant la logique de leur politique, étaient naturellement opposés à cette marche vers l’Est. Jeanne d’Arc pesait de tout son poids, de toute l’autorité de sa parole inspirée et de ses succès récens. L’opposition de La Trémoïlle, de Regnault de Chartres, que la Pucelle trouvait toujours devant elle, l’étonnait, l’irritait ; elle ne comprenait rien à tout ce travail de Cour.

En présence des difficultés qu’elle rencontrait, elle eut un véritable accès de désespoir. Elle sentait que l’âme du Roi lui échappait. La Trémoïlle avait repris tout son empire. Au

  1. Ces délibérations eurent lieu a Gien quand on hésitait avant de prendre le chemin de Reims : « Combien que plusieurs, et le Roy lui-même, de ce feissent difficulté… toutefois le Roy s’arrêta au conseil de ladite Pucelle et délibéra de l’exécuter… » Chronique de la Pucelle (Procès, IV, 248).