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sa mère au sanctuaire du Puy, que ces hommes inconnus veillassent sur elle à la Cour et eussent aplani les obstacles auprès de personnages comme Gérard Machet, auprès des docteurs et des frères appartenant aux mêmes ordres, cela ne peut faire doute : ces communications souterraines ont existé, de tout temps, dans le monde ecclésiastique. Il n’est pas nécessaire pour l’admettre de supposer une conjuration. Les intérêts et les sentimens se groupaient naturellement et les convictions se faisaient dans la joie, parce que, au fond, tous étaient du même avis et du même parti ; ils n’attendaient qu’un signe du représentant de la cause, le Roi. Or, ce signe, il l’avait fait en désignant Jeanne d’Arc et en acceptant un secret commun avec cette fille inconnue et déjà légendaire.

Les gens de la Cour s’inclinèrent ; on ne rompt pas en visière aux princes. Tout était trouble et chancelant : il n’y avait qu’à attendre ; on verrait bien.

La préoccupation de ce qui allait se passer à Orléans dominait tout. La demi-défection du Duc de Bourgogne, retirant ses troupes du camp des assiégeans, était un fait considérable. Un échec des Anglais devant Orléans ne gâterait rien, au contraire[1].

On épuisa donc les ressources disponibles pour équiper l’armée de secours qui ne dépassa pas quelques milliers d’hommes. (Procès, I, 78 et Morosini, II, 26). Jeanne d’Arc y prit la place et le rang de « chef de guerre » (28 mars) ; elle y joua le rôle que l’on sait. Orléans fut délivré (29 avril-8 mai). Bientôt les autres places de la Loire étaient occupées.

Le 18 juin, l’armée de secours des Anglais venue de Paris

  1. Il n’est pas possible d’atténuer, comme on a essayé de le faire, l’importance du siège d’Orléans. Le but de cette campagne sur la Loire était pour les Anglais de rejoindre leurs États du Nord à ceux du Sud. D’où l’inquiétude et la surveillance jalouse du Duc de Bourgogne. Celui-ci sentait que les Anglais cherchaient à lui échapper et entendaient travailler pour leur compte. Il eût bien voulu s’entendre avec Richemont et le duc de Bretagne pour glisser ceux-ci en tampon entre les deux dominations anglaises. Mais, dans les années qui précèdent l’apparition de Jeanne d’Arc, les Anglais avaient fait des progrès effrayans dont j’emprunte le tableau à M. G. Lefèvre-Pontalis : « De 1425 à 1428, l’invasion étrangère a conquis le Maine, ville à ville, jusqu’à l’Anjou, achevé la réduction de la Picardie et de la Champagne, repoussé deux essais d’offensive sur les lisières de Normandie et de Bretagne… Malgré la délivrance de Montargis,… la formidable entreprise dirigée contre Orléans s’engage avec toutes chances de succès final et de morcellement définitif de la nationalité française. » Chronique de Morosini (t. III, p. 2, note).