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« la paix de Bourgogne. » Le Roi ne pouvait pas être et n’était pas entièrement de leur avis. Pour lui, l’arrangement avec Philippe le Bon, aux conditions imposées par celui-ci, était une abdication, et si cela importait peu à ses ministres, qui avaient probablement pris leurs sûretés, cela lui importait à lui, à lui seul. En y regardant de plus près, il voyait bien qu’il n’avait qu’à perdre : mieux valait jouer le tout pour le tout.

Ce sentiment s’ancrait dans sa nature résistante et tenace, sous la placidité apparente. Il ne savait comment il parviendrait à rompre les fils sans nombre qui le liaient ; mais il savait, du moins, qu’en gagnant du temps, il gagnait quelque chose. Confiant aux événemens et à la miséricorde divine, il attendait, il priait. La prière est un appel. Quand on appelle quelque chose, c’est-à-dire quand on y pense toujours, elle vient.

Or, voilà justement que se lève l’aube d’une intervention céleste ! Cette pucelle n’apportait rien, il est vrai, que son affirmation, ses promesses et son ardeur. Mais elle était si noble, si sincère, qu’en vérité, l’inspiration rayonnait d’elle. La nouveauté même, la hardiesse de ses dires était une garantie. Au moins, celle-là n’appartenait à aucune cabale : elle fleurait l’âme populaire et cette essence de sentimens diffus que le Roi seul pourrait éprouver comme elle, comme son peuple, et que résume un seul mot : France.

Aussi, malgré son Conseil, malgré l’avis d’hommes graves et dévoués, comme J. Gélu, archevêque d’Embrun, qui, interrogé, au nom du Roi, par les intimes conseillers de celui-ci, écrivait de se méfier[1], Charles VII se prête à écouter. Dès la première entrevue, il s’établit, entre ces deux êtres, qui avaient, au fond, la même vue sur la situation, une sympathie active. Charles VII en donna bientôt une preuve éclatante en gardant le silence sur les garanties apportées par la Pucelle et en déclarant qu’entre elle et lui, c’était un secret.

Pour un prince dont l’habitude était une soumission aveugle à ses favoris, cette réserve indique une volonté, une décision

  1. Le Roi fit écrire à J. Gélu par Pierre l’Hermite, qui était son conseiller intime, peut-être son confesseur. Ce Pierre l’Hermite est probablement le même qui, plus tard, comme sous-doyen de Tours, fit un mémoire en faveur de la Pucelle, en vue du procès de réhabilitation. Nous avons donc, ici, un partisan déclaré de la Pucelle de la première heure jusqu’à la dernière, et un homme qui connaissait l’exacte pensée du Roi. Voyer P. Ayrolles, d’après le manuscrit du P. Fournier, La Pucelle devant l’Église (p. 3) ; et Procès (V, 215, 131).