Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/752

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dans sa politique de « la paix de Bourgogne. » On croit volontiers ce que l’on désire. « La paix de Bourgogne, » c’est le vœu populaire, c’est le salut, et c’est surtout, — tel est le point de vue des partis, — l’enjeu du pouvoir !

Voici donc comment les parties sont engagées et liées au moment où Jeanne d’Arc arrive à Chinon :

Les Anglais pèsent de tout leur poids sur la Loire pour rompre le dernier chaînon de l’unité française : s’il cède, ils sont les maîtres, de Rouen à Bordeaux, d’une mer à l’autre.

Le Duc de Bourgogne engage sournoisement la double manœuvre qui, tout en contenant l’Angleterre, tend à substituer la Bourgogne flamande à la France latine.

A la cour de Charles VII, tous les partis, — sauf les Armagnacs compromis et les fidèles de Charles VII impuissant, — se disputent la politique de la « paix de Bourgogne, » la paix à tout prix, la paix par l’humilité et le démembrement. De ces partis, le plus dangereux, parce qu’il représente une force et un système, c’est l’aristocratie apanagère conduite par Richemont, allié du Duc de Bourgogne.

Par la longueur des guerres et l’incohérence des diplomaties, les situations sont tellement faussées que chacun ne peut plus que suivre son instinct et son intérêt, à l’aveugle. La France est oubliée.

La France meurt ;… à moins que toutes ces causes obscures, ces violences lasses, ces modérations louches, ces eaux troubles, soient purifiées et clarifiées ; à moins qu’une intelligence nette, une volonté ferme, un cœur ardent, survienne, dirige et débrouille : en un mot, Jeanne d’Arc paraît.


III

Cette pucelle venue des marches de Lorraine, habillée en homme, accompagnée de trois ou quatre soldats, vaguement recommandée par le sire de Baudricourt, se présente et affirme qu’elle est envoyée de Dieu pour sauver le royaume, faire sacrer le Roi à Reims et chasser les Anglais.

Ce qu’il y a de plus surprenant, c’est qu’on l’écoute.

Ce n’est pas l’avis de la majorité des conseillers du Roi ; mais le Roi lui-même incline à l’entendre. Et cela se comprend : ses conseillers avaient pris position : ils n’avaient plus qu’un système,