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qui est celui du monde qui, à nos affaires de France, peut apporter le plus advancement ou grief[1]. »

Bourgogne savait tout cela ; il n’avait donc qu’à manœuvrer. Ainsi s’était développée et déroulée, à son gré, une politique extrêmement savante qui le tenait en équilibre entre les deux partis, lui laissant le moyen et le loisir de traîner France et Angleterre à l’extrême limite des concessions.

Il faut expliquer très brièvement où en était la procédure de cette politique au moment où parut Jeanne d’Arc ; car c’est le nœud de toute l’histoire de la Pucelle.

Du côté de la France, Philippe le Bon tendait l’hameçon par le système des armistices et des trêves, sans cesse renouvelés et prorogés, sous la promesse d’un rapprochement prochain et d’une pacification générale. En réalité, ces conventions sont toujours très mal observées, à la faveur de l’ambiguïté qui subsiste sur leur véritable portée ; elles n’empêchent pas le Duc de Bourgogne de venir en aide aux Anglais, en fournissant des subsides, des hommes d’armes et en autorisant ses généraux à servir pour le compte du roi d’Angleterre.

C’est toute une histoire diplomatique du règne de Charles Vil qu’il faudrait écrire, si l’on voulait tenir registre de ces arrangemens indéfiniment répétés, mais qui marquent, à tout prendre, les étapes de la combinaison qui prévaudra après la mort de Jeanne d’Arc : le traité d’Arras[2].

En 1423, à Bourg-en-Bresse, sous les auspices du duc de Savoie, intermédiaire patenté de ces tractations, première trêve, première esquisse d’une « paix générale ; » à Nantes, accord négocié par le duc de Bretagne (sept. 1424) ; à Chambéry, nouvelle trêve, sous les auspices du duc de Savoie, du 5 octobre 1424 au 1er mai 1425 ; négociation de Màcon en décembre 1424 ; de Montluel en janvier 1425, qui décident l’avènement de Biche-mont aux affaires ; c’est le moment où le Duc de Bourgogne flatte le plus les espérances françaises au sujet d’une prochaine réconciliation ; ses démêlés avec le duc de Gloccster au sujet du mariage de Jacqueline de Bavière s’enveniment ; on répand le bruit que les meneurs de la politique anglaise projettent de l’assassiner.

  1. Beaucourt (II, 330).
  2. Les documens, pour cette partie de l’histoire de Charles VII, ont été mis en lumière par M. de Beaucourt dans son Histoire de Charles VII (t. II, p. 325-360).