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représentans auprès du Dauphin que des personnalités violentes et cupides, mais qui le tenaient depuis le temps de sa jeunesse : c’étaient les assassins du pont de Montereau : ils pesaient sur lui par l’évocation d’une complicité plus ou moins établie et avouée, par des souvenirs communs qu’ils savaient rafraîchir à l’occasion, et aussi par le concours incontestablement dévoué et efficace qu’ils lui apportaient dans sa lutte contre l’étranger.

Les survivans de ce groupe un peu usé, Tanneguy-Duchâtel, le président Louvet, Guillaume de Champeaux, évêque de Laon, un favori sans mérite, Frottier, le chirurgien Cadart, compromis autant qu’on peut l’être, — leurs têtes étant, à la plupart, le gage réclamé par le parti bourguignon pour toute œuvre de pacification, — restaient forcément attachés au succès de la cause française. Ceux-là donc étaient anti-bourguignons, anti-anglais à fond, et jusqu’à en être embarrassans. Attachés, dans la famille royale, à ce qui subsistait de fidèle au duc d’Orléans, leur plus grande force était l’espèce d’« envoûtement » qu’ils exerçaient sur le Dauphin. Lui, n’osant rompre avec le passé sanglant, ne savait comment se dégager de leur dangereux dévouement.

Une intrigue fomentée par un parti rival l’y aida : il se laissa faire, selon sa coutume d’abandonner sa conduite au fil des événemens. Mais les remplaçans avaient d’autres visées. Ceux-ci ne cherchaient pas seulement à exercer le pouvoir sous le nom du prince, ils prétendaient diminuer l’autorité royale jusques et y compris un démembrement partiel du royaume ; il s’agit, ici, du parti des Grands et de la haute aristocratie apanagère, rivaux directs de la Couronne, tout prêts à s’appuyer sur la Bourgogne et, au besoin, sur l’Angleterre pour arriver à leurs fins. Ils se prononçaient pour toutes les transactions, pourvu qu’elles leur profitassent ; à grands cris, ils se réclamaient d’une cause, en tous temps populaire, celle de la paix.

A la tête de ce parti, se trouve un très grand seigneur, frère du duc de Bretagne, le duc de Touraine, futur connétable de Richemont.

Arthur de Bretagne est, d’abord, « breton. » Il travaille pour lui-même et pour sa maison. Il rêve de se tailler une principauté indépendante en Touraine, la Bretagne jouant ainsi dans l’Ouest le rôle que la Bourgogne joue dans l’Est et les comtes de Foix