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sourcils dont les coins se dressaient comme cornes en son ire. » Chastellain, le bon rhétoriqueur, tremble sous ce regard : « Ne séoit à homme, fors à Empereur ou Boy, porter telle effigie que luy, telle imaige, ni telle figure… Et parloit son viaire (visage), ce sembloit, disant : « Je suis prince… » En une étable eût-il été ainsi, comme une imaige en un temple. »

La tige, dont il est la fleur, ayant ses racines en France s’épanouit, transplantée et grassement nourrie dans ces riches Flandres. Il gagna ses peuples, dont il n’avait pas le sang, par conquête d’abord, puis par autorité, prévenance, complaisance, attentions et délicatesses extrêmes. Ces bourgeois de Gand, de Bruges, de Bruxelles n’étaient pas faciles à manier, entendant garder leur prince pour eux, limitant l’emprise souveraine par leurs franchises et par leur arrogance, pointilleux sur leurs libertés, « étant telle l’imagination des vassaux et subjetz de mondit seigneur, dit son conseiller Hugues de Lannoy, que il n’est point tenu de exposer les personnes de luy et de ses susdits vassaux et subgetz sans rémuneracion ; » tous, commerçans exacts, proportionnant les sacrifices au profit. La tradition de ces princes et de ces peuples ne s’est pas perdue en terres flamandes.

Ainsi, prenant et pris tout ensemble, le duc Philippe est tenu de louvoyer sans cesse, jouant au plus fin, frappant et caressant. Ce vaillant homme, ce brutal, ce dépensier, ce voluptueux ne parle que de sagesse, de modération et de piété. Il a toujours à la bouche la cause de l’Eglise ; toute sa vie, il fut sur le point de partir pour la croisade ; mais il ne partit pas, se tenant aux tâches plus proches et plus fructueuses, non sans exciter railleries et brocards, dont peu lui chaut : « Aucuns pays ont cette coutume que quand ils se trouvent en banquets avec leurs amis et qu’ils ont la teste un peu échauffée de bonne chère, ils entrent en dévotion par compagnie et à l’envy font des vœux d’aller en Hiérusalem, à Rome, Nostre-Dame de Lorette ou à Saint-Jaques en Galice : et ne font guère, souvent, tels vœux le matin. J’ay ouy dire que les Flamands et aucuns Allemans qui vont chantans par les rues, en ce royaume, en leur liffreloffre, sont coustumiers de faire tels entreprises[1]. »

Compulseur de dossier et amateur de beuveries, « couché

  1. Guillaume Paradin, Annales de Bourgogne, cité par G. Doutrepont. La Littérature française à la Cour des ducs de Bourgogne (p. 513).