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fatalité et des faits de conscience qui ont décidé du sort de la Pucelle. Il est possible d’expliquer, ou, du moins, de s’expliquer le « mystère de l’abandon. »


II

Quand Jeanne d’Arc, venant de la frontière lorraine, se présenta inopinément à Chinon, elle tombait, sans le savoir, dans un fourré de complications politiques et d’intrigues. C’était, d’ailleurs, l’état normal aux entours de Charles VII.

Charles VII, lui-même, tenu de court par ceux qui se disputaient sa faveur ou plutôt qui usurpaient sa volonté, ne savait que s’incliner, s’effacer, se dérober devant l’exigence du dernier qui avait parlé.

Parmi tant de ténèbres et de contradictions qui obscurcissent l’histoire de cette époque, le véritable caractère de Charles VII reste une énigme.

Il avait vingt-cinq ans. Blême, maigre, les jambes fortes, la physionomie peu ouverte et comme attristée sous des traits gros et sensuels, on le trouve généralement morose, inquiet, soupçonneux, indolent et puis, tout à coup, il apparaît généreux, diligent et beau diseur. Entre la folie de son père Charles VI et la neurasthénie de son fils Louis XI, la phobie le guette. Timidité, méfiance, envie, c’est le fond d’un tempérament mélancolique. Mais, son intelligence nette, sa réflexion constante, sa ténacité souple et indomptable, à l’affût derrière de longues patiences, prépareront, à la fin, ses succès et justifieront ce beau nom de victorieux[1]. C’est un politique !

Le malheur a étouffé la première explosion de sa charmante jeunesse. Pendant longtemps, il doute de lui-même ; il a le scrupule de sa naissance, de sa légitimité, de son droit. Accablé par l’infortune, sous le coup, peut-être, du choc physique qu’il a reçu à l’accident de La Rochelle, il cherche un refuge dans ces « retraites et cabinets » où, selon le reproche que lui adresse un contemporain, il reste « muché et caché en châteaux, méchantes places et manières de petites chambrettes. » Il n’a d’autres ressources ni d’autres soulas que la conversation des

  1. Un élu de Lyon qui le visite à Bourges, en 1418, écrit : « Si, vous certifie que c’est un seigneur de grand cœur et qui, incontinent qu’il a dit une chose, la veut maintenir. » Cité dans Coville, Histoire de France de Lavisse (p. 382).