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En Allemagne, elle est la « Sibylle de France, » « sainte, virginale, prophétique. » Elle a le don de vaillance et le pouvoir de seconde vue. Les prodiges l’accompagnent : les boulets de pierre crachés par les canons ennemis tombent en poussière à ses pieds ; une colombe vole auprès d’elle, portant en son bec une couronne d’or… « Lors du sacre de Reims, la chevauchée française a foulé tout le vignoble à l’en tour ; mais, quand le Roi part de la ville et tire vers Paris, les tiges se redressent et fleurissent d’une floraison plus belle sous les pas de la Pucelle[1]. »

Dieu ayant pris parti et combattant pour la France, la France est, désormais, elle-même, en état de miracle. Son sol et son ciel sont sacrés. « Après la bataille de Patay, on voit venir, en Poitou, comme des hommes armés de toutes pièces chevauchant en l’air sur un grand cheval blanc et, au-dessus des armures, une grande bande blanche, venant devers la mer d’Espagne et passant par-dessus deux ou trois forteresses près Talmont et tirer vers Bretagne : dont tout le pays de Bretagne fut épouvanté. » (Procès, V, 122.) Cela donne à réfléchir au Duc de Bretagne, qui venait de se rapprocher des Anglais ; il s’apprête à chanter encore sa palinodie.

Quant aux Anglais, quelle terreur indicible les saisit ! « Race superstitieuse, » ainsi qu’il est dit au procès (II, 370), ils se sentent sous le bras de Dieu ou sous la griffe du démon. Il ne fait pas bon s’attarder sur ce sol où la maléficieuse Pucelle a dit que pas un seul Anglais ne demeurerait que ceux qui sont en terre. Sauve qui peut !

Chose à peine croyable, huit ou dix jours après la levée du siège d’Orléans, le duc de Bedford, qui s’est replié sur Paris, reçoit de telles nouvelles de l’armée « qu’il est obligé d’expédier des lettres closes aux capitaines de tous les ports de la côte normande, de la Somme à la Seine, à Eu, Dieppe, Fécamp, Honfleur, pour leur défendre de laisser aucun déserteur se rembarquer pour l’Angleterre[2]. »

  1. G. Lefèvre-Pontalis, Revue Hebdomadaire (17 avril 1909, p. 311), et surtout : Les Sources allemandes de l’Histoire de Jeanne d’Arc (t. I, p. 144).
  2. G. Lefèvre-Pontalis, la Panique anglaise. — Les particuliers, même loin des lieux, étaient épouvantés. Le correspondant de Morosini écrit, de Bruges, immédiatement après les premières nouvelles de la levée du siège : « Un Anglais qui s’appelle Laurence XXX (Trent ? ) que Marino connaît bien, honnête et discrète personne, écrit, de cette chose, voyant ce qu’en disent, dans leurs lettres, tant hommes d’honorables et de grande foi : « Cela me fait devenir fou ! » Chronique (III, 51).