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Sans doute, ce ne sont pas des chiffres définitifs ; beaucoup de candidats ne se sont pas prononcés sur des questions qui n’intéressaient que médiocrement leurs électeurs ; mais l’indifférence de ces derniers est significative ; il est permis d’en conclure que des réformes autour desquelles s’est fait un si grand silence ne sont pas très vivement demandées par l’opinion. Les monopoles de l’alcool et des assurances ont un caractère purement économique ; nous ne le disons pas pour en diminuer l’importance, mais pour la caractériser. Il n’en est pas de même du monopole de l’enseignement. La question, ici, est plus haute ; elle touche aux intérêts moraux du pays et aux plus graves de tous, puisque l’enseignement donné à l’enfance prépare l’avenir.

Il y a quelques années, — c’était en 1899, — lorsqu’une grande commission parlementaire étudiait, sous la présidence de M. Ribot, la réforme à introduire dans l’enseignement, tout le monde se prononçait résolument pour la liberté, d’où naît la concurrence, universellement considérée comme la condition du progrès. Pas une seule voix, alors, n’a réclamé pour l’État le monopole de l’enseignement. Mais, depuis, la situation s’est modifiée, et les idées ont changé. A mesure qu’ils se sont sentis plus forts, les radicaux ont montré des prétentions nouvelles, timides au début, plus exigeantes par la suite, et, en fin décompte, arrogantes, prétentions qui n’allaient à rien moins qu’à l’établissement du monopole scolaire. Les derniers projets présentés par M. le ministre de l’Instruction publique s’inspiraient déjà de cet esprit ; sans aller jusqu’aux conséquences extrêmes, ils s’orientaient dans leur direction. Les journaux radicaux-socialistes étaient plus hardis que le ministre ; ils demandaient la destruction de l’enseignement libre ; ils faisaient, pour la préparer, une campagne bruyante qui devait attirer l’attention du pays. Elle l’a attirée, en effet, et les candidats ont dû s’expliquer sur la question dans leurs programmes. Combien d’entre eux se sont-ils prononcés pour le monopole de l’État en matière d’enseignement ? 66, pas un de plus, et on conviendra que c’est peu. Nous sommes surpris nous-méme qu’un aussi grand effort ait abouti à un aussi petit résultat. Et, cette fois, on ne peut pas dire que le pays s’est désintéressé de la question. Non, certes, car la liberté de l’enseignement a compté 298 défenseurs, c’est-à-dire la moitié de la Chambre, et, dans l’autre moitié, il est à croire qu’elle a encore bon nombre de partisans. On se rappelle la manifestation des évêques contre certains manuels scolaires : si elle a paru à quelques-uns excessive ou inopportune, le sentiment général a été que l’enseignement public n’était pas tout à fait sans reproches