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on discutera longtemps. Le danger est même qu’on ne discute jusqu’à la fin de la législature : c’est à quoi travailleront les adversaires avoués de la réforme et encore plus ses adversaires inavoués et déguisés. Les moyens abondent défaire échouer une réforme : le plus simple, le plus efficace est de la compliquer de réformes incidentes qui, elles, sont destinées à ne pas aboutir. Si on prend le département pour circonscription électorale, comme on l’a fait en 1848 et en 1885, et si on se contente d’y corriger et d’y tempérer le scrutin de liste par la représentation proportionnelle, tout sera facile, le but pourra être atteint en quelques semaines ou, si on veut, en quelques mois. Dans ces limites, qui sont vraiment les siennes, la réforme est mûre ; elle se fera aisément. Si, au contraire, à cette réforme primordiale, on en rattache certaines autres d’un caractère plus grandiose, mais, malheureusement, d’une réalisation plus complexe, le résultat sera tout autre : la Chambre tournera lourdement sa meule pendant quatre ans et son labeur restera stérile. C’est parce que nous en avons eu le sentiment ou le pressentiment, que nous avons dû faire des réserves sur le discours que M. le président du Conseil a prononcé à Saint-Chamond, pendant la période électorale. Il y avait des choses excellentes dans ce discours, mais il y en avait trop, et de trop grandes, dont le nombre et l’ampleur rappelaient le Ne quid nimis ! de la sagesse antique, ou le : Qui trop embrasse mal étreint, de la sagesse moderne. M. Briand a parlé de réunir plusieurs départemens en régions, et de faire de ces régions des circonscriptions électorales nouvelles, en attendant qu’on en fît des circonscriptions administratives et politiques. Ce sont là des conceptions dont il n’a pas et dont il ne revendique pas la paternité ; elles se sont présentées déjà à beaucoup d’esprits, dont quelques-uns sont de bons esprits, et nous les acceptons volontiers comme objets d’études : elles sont intéressantes et sérieuses ; le jour de la réalisation viendra peut-être pour elles, mais il est encore lointain. Ces grandes réformes, en effet, ne sont pas mûres comme l’est la réforme électorale réduite à ses dimensions naturelles, et, si on veut subordonner celle-ci à celles-là, on aboutira à un ajournement indéfini. Vouloir tout faire à la fois conduit généralement à ne rien faire. Qu’arriverait-il d’ailleurs si, après avoir englouti les départemens dans les régions, on tombait dans le chaos ? Le pays se jetterait dans une réaction violente qui risquerait d’emporter toutes les réformes à la fois et d’ébranler la République elle-même. Notre situation générale nous commande d’être plus modestes et de marcher à plus petits pas. Nous n’avons pas de bottes de sept lieues.