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sont pas sans limites, et, lorsque le pays s’est prononcé dans un certain sens, soit avec une forte majorité, soit même avec une minorité imposante, il y a là pour le gouvernement et pour les Chambres une indication dont il serait téméraire de ne pas faire état. Or c’est ce qui est arrivé pour la réforme électorale. Si M. Briand est, comme il l’a dit, l’homme des réalisations, il comprendra qu’il y a là une réalisation toute prête, et qui s’impose. Voici d’ailleurs les chiffres qui ont été donnés par le ministre de l’Intérieur. La Chambre se composant d’un peu moins de 600 députés, 271 se sont prononcés pour le scrutin de liste avec représentation proportionnelle, et 92 pour la réforme électorale sans plus de précision. Mais sur ces 92 députés, une cinquantaine au moins, qui appartenaient à l’ancienne Chambre, ont déjà voté la représentation proportionnelle, et c’est peut-être pour ce motif qu’ils ont jugé inutile d’entrer pour leurs électeurs dans de plu9 amples explications. On peut donc dire avec assurance que, au début de ses travaux, la nouvelle Chambre contient une majorité certaine de proportionnalistes, tandis que les partisans du statu quo électoral, ou de la proportionnée, — qu’on a ainsi nommée pour créer quelque équivoque avec la proportionnelle, — ou du scrutin de liste pur et simple, ne sont pas 140. La représentation proportionnée est celle qui établit une péréquation entre les circonscriptions électorales pour qu’elles contiennent approximativement le même nombre d’électeurs ; c’est une réforme qui a son intérêt, mais qui ne guérirait et qui n’a d’ailleurs pour objet de guérir aucun des maux dont nous souffrons ; les « mares stagnantes » qu’a si bien dénommées M. le président du Conseil auraient seulement les mêmes dimensions. Quittons la Chambre, voyons le pays : quelles ont été, parmi les électeurs, les proportions entre les partisans et les adversaires de la proportionnelle ? Ses partisans ont été 4 443 000, auxquels il faut joindre, au moins en partie, ceux de la réforme électorale sans plus de précision, qui ont été de 1162 000. Les partisans réunis du statu quo, de la proportionnée et du scrutin de liste pur et simple n’ont groupé que 1 652 000 suffrages. Après avoir mis ces chiffres en balance, qui pourrait dire que le pays ne s’est pas nettement prononcé en faveur de la proportionnelle ? En tout cas, ce n’est pas ceux qui ont fait la séparation de l’Église et de l’État, sans parler de plusieurs autres réformes importantes, en dehors de toute consultation nationale.

Bon gré, mal gré, on devra tenir compte de ces chiffres, et telle est bien l’intention du gouvernement puisqu’il les a publiés. Si les journaux seuls, avec leurs moyens propres, avaient dressé cette statis-