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d’un récitatif à la fois solennel et savoureux, homérique. Maintenant, autre hommage à Ménélas : l’épée de Laërte, le père d’Ulysse, décédé récemment. Regrets et condoléances. L’oraison funèbre et filiale que prononce Ulysse est du meilleur style tragi-comique. Et puis et surtout, quand elle menace de tourner trop au noir sur ces paroles infernales : « Son ombre maintenant erre au sombre séjour ! » alors je suis rasséréné par la conciliante, la consolante intervention d’Hélène : « Il est dans les Champs-Elysées, » où la tonalité, l’orchestre, enfin toute la musique, s’éclaire d’une lumière élyséenne en effet, que le Fénelon de Télémaque eût aimée.

Et voici que, des mains d’une esclave, Télémaque, filial et pieux à son tour, a pris le voile maternel. Hélène le reçoit, respectueuse elle-même autant que flattée, et longuement elle le regarde. Bientôt, les paroles fleuries abondent sur ses lèvres. Pour le coup, c’est plus qu’un couplet, qu’une strophe, c’est vraiment tout un poème. Vous vous rappelez, dans la Nuit de Mai, la belle évocation que fait la Muse des paysages de sa patrie :


Et la Grèce, ma mère, où le miel est si doux,
Argos et Ptéléon, villes des hécatombes,
Et Messa la divine, agréable aux colombes,


et tout ce qui suit. MM. Lemaître et Donnay s’en sont également souvenus, et pour y ajouter encore. Ils en ont remis. Charmée, un peu gênée aussi, envieuse peut-être, avec quelques regrets, Hélène songe à cette vertu, partout renommée, et dont elle tient l’emblème entre ses peu dignes mains. Alors elle commence une nomenclature topographique, auprès de quoi la période de Musset paraît un sommaire. Toutes les régions, toutes les peuplades, toutes les cités et les productions mêmes de la Grèce, avec leurs épithètes homériques, y sont énumérées. Et la musique s’adapte, non sans esprit ni sans poésie, à tous les détails de cette géographie physique et je dirai psychologique tour à tour. Descriptive, expressive de plus d’une façon, variant ses formes, ses modes, ses mouvemens, passant de l’ode à la pastorale, à la psalmodie, elle est tantôt pittoresque, tantôt lyrique et, quand il le faut, religieuse. Elle exhale vraiment, avec un souffle d’Orient, un parfum d’antiquité grecque. Et quand arrive, chaleureuse et sincèrement émue, une péroraison qui ramène encore une fois le « motif » symbolique et gracieux du voile, « du voile de ta mère, » alors, paroles et musique prennent une espèce de grandeur. L’idée morale se mêle à notre vision et l’achève. Tant de lieux, et si magnifiques, nous