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Le rôle d’Hérode n’accorde absolument rien à la voix ; celui de sa belle-fille presque rien. Iochanaan seul ose chanter, çà et là, deux ou trois mesures, et certaine allusion, brève, mais vocale, à Jésus sur les bords pu les flots du lac de Tibériade, pourrait bien être l’unique passage (ou peu s’en faut) expressif et touchant de la partition.

Aussi bien cet orchestre n’est jamais plus à son aise, à son affaire, que débarrassé de la parole et du chant. Il se donne alors, et s’en donne, librement ; non pas certes de tout son cœur, le cœur étant ce qui manque le plus à la musique, intellectuelle et volontaire, de M. Richard Strauss, mais de toute sa force. Et dans certains épisodes comme la danse de Salomé, surtout comme l’ouverture et la fermeture de la grille qui recouvre le cachot souterrain du Baptiste, cette force, portée au paroxysme sonore, ne manque pas, sinon de nous émouvoir, au moins de furieusement nous ébranler.

Pas plus que la puissance, nous ne contestons la souplesse, la fluidité d’une pareille instrumentation. L’orchestre de M. Strauss unit des qualités différentes et même contraires. Tantôt c’est par la violence qu’il nous réduit et tantôt il nous séduit par la douceur. Alors il se fait léger comme une écharpe envolée et qui flotte. Les toutes premières mesures de l’opéra sont un exemple brillant de cette seconde manière, un échantillon de cette trame impalpable et mouvante, sorte de mousseline sonore, où je ne sais quelle gamme, de flûte peut-être, jette des ornemens et des fleurs. Ainsi, pour la sonorité générale, jamais brutale dans la force et, dans la finesse, toujours soutenue ; pour la flexibilité, l’élasticité, le coloris aussi de la matière ou de l’étoffe instrumentale, c’est un étonnant orchestre que celui de Salomé. J’en goûte moins le détail et les inventions particulières, pour ne pas dire excentriques. Dans la scène finale, et « capitale, » on peut le dire, un trille obstiné, haché de place en place par les deux petites notes qui forment l’un des « motifs » de l’héroïne, énerve encore plus qu’il n’émeut. Et surtout, vous n’êtes pas sans avoir entendu vanter comme une trouvaille de génie, du génie de l’épouvante et de l’horreur, une note, une seule, mais répétée, et qui s’exhale de l’orchestre pendant l’invisible et souterraine décollation. Il paraît, — je veux dire on assure, car cela ne paraît pas tout de suite à l’oreille, — que c’est une note harmonique de contrebasse. Elle semble aussi bien de mirliton, singulière, déplacée et tout près d’être risible au lieu d’être sinistre. Incertaine de sonorité, le sens en est également discutable. D’aucuns avaient cru d’abord y reconnaître la section laborieuse du cou par le tranchant mal affilé du glaive. Il y faudrait chercher, d’après les