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collègues du Conseil des Cinq-Cents qu’elle était plongée dans une espèce de chaos. L’idéal du législateur était alors d’avoir, non pas une école par village, mais une par chef-lieu de canton, et beaucoup d’enfans avaient à faire quatre lieues dans leur journée pour aller prendre une leçon de lecture, d’écriture et de calcul ! A dater de 1793, les écoles que la Convention avait prétendu substituer aux anciennes écoles paroissiales, subventionnées par les fidèles et surveillées par le clergé, s’étaient vidées pour ainsi dire d’elles-mêmes. Au lieu de dire : Au nom du Père… il fallait dire en se signant dévotement : Au nom de Pelletier, Rousseau et Marat… Les parens indignés gardaient leurs enfans chez eux et les empêchaient d’aller à l’école. « Les parens, dit Barbé-Marbois dans son très curieux rapport du 30 ventôse an IV, se hâtaient de retirer leurs enfans de ces écoles devenues celles de la licence ; et la plus profonde ignorance paraissait préférable à une science payée par le sacrifice de tout ce qui donne du prix et du lustre à la jeunesse. »

Les rares instituteurs qui exerçaient dans les villes et à Paris même désertaient successivement, parce que l’Etat ne les payait pas, et Fourcroy put s’écrier à la tribune du Conseil des Anciens, le 11 germinal an IV : « Partout on se plaint du défaut d’instruction ; dans les villes même les plus peuplées, à peine trouve-t-on quelques maisons particulières où l’on puisse donner à ses enfans les premiers élémens de la lecture et de l’écriture. » Tous les orateurs des deux conseils, et, après eux, les conseils généraux et les préfets du Consulat, furent unanimes à proclamer ce qu’on appellerait aujourd’hui la faillite de l’enseignement républicain, laïque et obligatoire.

Tandis que les politiciens se débattaient ainsi au milieu de difficultés insurmontables, et qu’ils accumulaient projets sur projets, décrets sur décrets, lois sur lois, sans parvenir à organiser l’instruction publique, le haut clergé prit en main la cause de l’enfance si tristement abandonnée ; il attaqua résolument l’école sans Dieu, et prescrivit l’ouverture immédiate d’une infinité d’écoles chrétiennes. On sait que la liberté des cultes, réclamée en vain par le conventionnel Grégoire, évêque de Blois, en nivôse an III, fut proclamée deux mois plus tard, à l’instigation de Boissy d’Anglas, par le célèbre décret de ventôse (mars 1795) ; et la liberté des cultes avait pour corollaire, aux yeux des républicains de l’an III, la pleine et entière liberté