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rasé, avec une ceinture d’où pendant de longs glands, et le capitaine de la légion étrangère, de Saint-Arnaud, dont on ne voit que la tête, exactement au-dessus de la tête de l’adjudant-major Canrobert. Or le général Valée est mort maréchal de France en 1846. Le capitaine de Saint-Arnaud est mort, en Crimée, maréchal de France en 1854, — et le peintre Détaille, auquel on attribue ridiculement ce tableau, est né en 1848. Il n’a donc pu retracer, avec cette individualité saisissante, ces figures qu’au contraire Horace Vernet a connues et qu’il a pu faire poser dans son atelier. On dit, il est vrai, pour lui attribuer cette œuvre, et la distinguer de la suite de celles d’Horace Vernet, qu’elle leur est fort supérieure pour la qualité des couleurs et pour le naturel des attitudes. Mais ce sont là des considérations purement esthétiques, c’est-à-dire sentimentales et dont la critique moderne ne tient plus heureusement aucun compte, lorsqu’elle se trouve en présence des faits et des dates de l’histoire, qui est une science. »

Si, au contraire, triomphe un jour l’identification par l’analogie des traits particuliers au dessin de chaque maître, c’est par de tout autres considérations qu’on pourra dénier à M. Jean-Paul Laurens la paternité de la Reddition de Yorktown, destinée au Palais de Justice de Baltimore (Champs-Elysées, salle 16, n° 1125). Regardons les soldats de M. Jean-Paul Laurens. On vient de les sortir d’une boîte et de les ranger bien proprement, sur une prairie bien ratissée, sous un ciel bien lavé. Nous assistons au dernier grand fait de la guerre d’indépendance américaine, le 9 octobre 1781, au coup de ciseau qui a tranché les derniers liens unissant le nouveau peuple anglo-saxon à la mère patrie. Voici, d’abord, les huit mille quatre cents hommes de lord Cornwallis immobiles comme un champ d’épis, d’épis rouges. Voici, ensuite, dans le coin de droite, les casques à chenille des chasseurs français étages en rangs bien alignés comme des salades, puis, çà et là, les lampions des cavaliers, les bourses et les catogans des cheveux blancs de poudre. Voilà, enfin, la longue figure du grand Américain, Washington, à cheval, se penchant un peu en avant pour recevoir l’épée que lui tend le général anglais. A sa droite, un peu en arrière, nous reconnaissons la France : le comte de Rochambeau, à cheval en costume de maréchal ou d’amiral, portant déjà le cordon bleu, en habit bleu et veste rouge bordés à la Bourgogne. Il