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les dos, les trois quarts et les profils perdus des gens de l’état-major, groupés au premier plan, là, contre nous, au bord du cadre, et qui suivent, avec une attention plus ou moins distraite-la cérémonie. ce qui est son œuvre — et ce qui est un chef-d’œuvre, — c’est l’articulation souple, naturelle, aisée de ce corps collectif uni par un même esprit, l’esprit de corps, et différencié par les mille sentimens particuliers qui en caractérisent chaque membre : la détermination froide et pincée d’un Valée, la méditation juvénile d’un Nemours, ou l’émotion d’un Joinville, l’entrain héroïque d’un Canrobert, la superbe inattention d’un Lebœuf, la gravité triste d’un Niel, la gravité hautaine d’un Saint-Arnaud, la correction effacée d’un Mac Mahon, la componction pensive des deux vieux généraux Rohault de Fleury et de Caraman, enfin l’absence totale d’émotion ou de pensée chez quelques autres, les physionomies devenant de plus en plus distraites à mesure qu’elles s’éloignent plus de l’autel et qu’elles se sentent moins observées : toutes confondues dans un même sentiment : la fierté résignée de gens qui ont fait hier des choses plus grandes qu’eux et qui accomplissent aujourd’hui une petite corvée.

Tous ces gens vivent, sont solidement bâtis, obstruent le passage, pèsent de tout leur poids sur la terre conquise, font le geste de leur profession, de leur humeur et de leur machine osseuse, ces des voûtés par le respect ou ces tailles sanglées par le ceinturon ou ces bras appuyés aux sabres courbes, ont la vérité objective et particulière de choses faites d’après nature. Ce capitaine de chasseurs d’Afrique, Morris, s’appuie réellement sur son sabre ; cet adjudant-major, Canrobert, croise réellement les bras ; ces zouaves et ces soldats de l’infanterie légère sont réellement accroupis, un peu maladroitement, les uns dégagés, les autres empêtrés dans leurs capotes, faisant tous le même geste commandé par la discipline, chacun avec un mouvement différent, commandé par sa myologie. Pas un ne ressemble absolument à son voisin. On sent les ressorts de la machine humaine qui se tendent ou se contractent sous le vêtement plein de muscles. Il y a une minutieuse exactitude d’accessoires, de galons, de boutons, de hausse-cols, de ceinturons, mais perdue dans l’effet général, estompée par la poussière du désert, effacée par l’usure des années. Ces dolmans, ces tuniques, ces képis, ont été réellement portés, plissés, froissés, cabossés, selon le