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l’hiérophante ; et cette religion, il méprisait quiconque se refusait à l’adopter ou à la respecter : « On peut ne pas aimer mes livres, écrivait-il à Mme La tour Franqueville, mais quiconque ne m’aime pas à cause de mes livres, est un fripon. »

Voilà qui est net. Voilà qui est expressif. Pareillement les Robespierre et les Saint-Just étaient des cœurs sensibles, et ils disaient : « Quiconque ne sent pas comme nous est un fripon. » Oui, Robespierre et Saint-Just étaient des cœurs sensibles, on peut le dire sans ironie, tant la sensibilité est sujette à revêtir des formes diverses ! Robespierre et Saint-Just sentaient avec force, ils avaient l’enthousiasme et l’intolérance de leurs sentimens et ils prétendaient les inspirer à tous les Français : « Le jour où je devrais désespérer de faire de la France une nation d’hommes vertueux et sensibles, disait Saint-Just, ce jour-là, je me tuerai. »

Qu’est-ce à dire ? Saint-Just entendait qu’il n’y eût pas un homme en France qui ne sentît comme lui, pas un cœur français qui ne battit à l’unisson du sien. Imposer des idées, passe encore, mais imposer des sentimens ! Il faudrait pour cela refaire les hommes, et Saint-Just, ne pouvant y réussir, eut recours à la guillotine.

O intolérance du cœur sensible !


VICTOR CHERBULIEZ.