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Mais la différence qui existe entre les êtres et ces notes, c’est que les notes ne sont que les fragmens, les parties isolées d’une mélodie ; au contraire, dans chaque individu, l’ordre tout entier de l’univers, l’harmonie universelle est représentée sous une forme plus ou moins claire, plus ou moins confuse. De là Leibnitz tient chaque individu pour un microcosme, c’est-à-dire pour un petit monde ; chacun d’eux est un abrégé, un résumé de l’univers ; l’univers en raccourci, l’univers concentré, ou, comme il le dit, un miroir vivant où se peint la représentation, l’image de l’univers. Ce n’est donc pas à des notes qu’il faut comparer les êtres, mais aux variations diverses d’un même thème. Un compositeur imagine un thème, peut-être d’une simplicité primitive, puis il le développe dans une série de variations où le thème se retrouve toujours le même au fond, mais toujours plus orné, plus compliqué. Eh bien ! l’homme est une de ces variations du grand thème de l’univers inventé par l’éternel compositeur, variation plus savante que la plante et l’animal, moins savante, moins riche que les génies, les anges et les pures intelligences.

Ce qui caractérise l’homme, si on le compare aux êtres qui lui sont inférieurs, c’est qu’il peut avoir conscience de cette harmonie qui est en lui : l’homme est un microcosme qui peut savoir que l’univers se concentre en lui. Mais il ne peut le savoir clairement. Nos idées claires et distinctes sont toujours les idées d’objets déterminés. J’ai une idée claire et distincte de cette table qui est devant moi, du soleil qui éclaire cependant assez faiblement cette salle, parce que le soleil, parce que cette table sont des objets particuliers et déterminés. Mais je ne puis avoir une idée claire et distincte de l’univers ; il ne peut être représenté en moi que d’une manière vague et obscure. Ce n’est que par ce que Leibnitz appelle les petites perceptions, les perceptions vagues, les perceptions confuses que nous pouvons concevoir le tout, l’infini, le monde. En un mot, notre âme forme le centre d’un cercle et tous les points de la circonférence sont mis en rapport avec le centre par des rayons. Si notre âme quitte le centre et chemine sur l’un de ces rayons, elle se met dans un rapport toujours plus net avec le point de la circonférence où il aboutit ; mais pour être en rapport avec tous les points, il faut rester au centre, et ce centre n’est qu’un point où tous les rayons se confondent. Ainsi en nous la pensée