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butte stérile d’En-Gaddi, font oublier l’oasis brûlée et misérable d’autrefois. Nulle part, dans tout l’Orient que je viens de parcourir, une aussi prodigieuse floraison d’images n’avait dilaté, mes yeux.

De cette fête de lumière, qui va se continuer sans moi, avec une variété et une fécondité de splendeurs que je ne soupçonnerai même point, je n’aurai contemplé qu’un instant. Pour n’en avoir pas trop de regrets, il vaut mieux partir tout de suite, puisqu’il est impossible de s’arrêter longtemps devant elle !


… Déjà, les moukres replient les toiles de la tente. On selle les chevaux et on recharge les mulets. Nous allons repasser par les terribles escaliers de la falaise.

Mais l’ascension est moins pénible et moins vertigineuse que la descente. Inutile, comme la veille, d’étendre des couvertures sous les pieds des bêtes de somme. Flairant la piste du retour, elles escaladent les raidillons glissans, avec une sûreté de jarrets et une allégresse qu’elles n’avaient point, hier.


Nous voici au sommet.

Comme du toit d’une maison à multiples étages, j’embrasse de nouveau l’horizon immense. Le vent s’élève, là-haut, un grand vent frais qui déferle et qui roule en énormes masses d’air et qui semble avoir traversé des mers et des continens. En bas, au fond du gouffre creusé à pic, l’Asphaltite n’en est même pas ridé. Il est toujours uni comme une croûte de glace. Seulement, l’ourlet d’écume savonneuse qui le divise en deux moitiés égales et qui s’efface par intervalles, vient de reparaître. On dirait une de ces fleurs étranges que le givre matinal dessine sur les vitres embuées. A travers les perspectives sans fin du lac, les vagues formes blanches qui traînent dans l’espace, les fantômes des montagnes les plus lointaines qui se fondent dans les transparences aériennes, — je regarde vers l’Arabie et ses déserts inaccessibles. Et, si loin que mon regard puisse atteindre, il se heurte constamment à une barre nébuleuse, qui se dresse comme la porte infranchissable du Sud : la coupole du Djebel Ousdoum !

Je me répète une dernière fois ce nom que j’aurai prononcé