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l’Asphaltite, qui resplendissaient avec une attirance maléfique.

Traversée d’obstacles continuels, cette descente périlleuse s’éternisa. Dès huit heures du matin, nous étions au sommet de la falaise : nous ne fûmes en bas qu’après-midi.


Le voici donc, ce fameux jardin du Cantiques des Cantiques ! « Mon bien-aimé est pour moi une grappe de troène dans les vignes d’En-Gaddi !… » Lointain et presque mythique souvenir !

Le jardin est abandonné, personne n’y vient plus, rien n’y pousse que, çà et là, quelques touffes d’herbes folles et d’étranges bouquets épineux que, de loin, on prend pour des ronces et qui, pourtant, sont des arbres. Ces arbres sont robustes et leurs branches largement étalées, mais à distance, ils paraissent tout petits. La terrasse elle-même est plus étroite encore qu’on ne l’avait supposé, du haut de la falaise. De cet endroit, elle se confondait avec les terrains vagues qui l’entourent et qu’elle domine. En réalité, elle ne plonge pas dans la mer. Elle en est séparée par une mince bande de terre, que rongent les eaux de l’Asphaltite et où pullule une extraordinaire végétation.

C’est là sans doute que fut la biblique En-Gaddi. Cette butte à peu près semi-circulaire, façonnée en forteresse naturelle et si bien défendue par les accidens du sol, était toute désignée pour remplacement d’une ville. L’essentiel, en ce pays et à ces époques reculées, était d’être à l’abri du nomade, de l’ennemi quel qu’il fût, et de se retrancher dans une position inaccessible. La ville d’En-Gaddi ! Quand on voit la misère du lieu, ces mots accouplés forment un contraste ridicule pour nos imaginations. La similitude des termes nous abuse. Ce n’était pas une ville au sens où nous l’entendons, mais quelque chose peut-être comme les bordjs de nos régions sahariennes, une simple muraille de pierres crues, percée de meurtrières et abritant une cinquantaine de cabanes en pisé. En tout cas, il semble difficile de placer En-Gaddi ailleurs que sur cette terrasse. On devrait y faire des fouilles. Le sol inégal est comme bosselé de ruines. Il a la stérilité spéciale aux aires de villes détruites et il tranche bizarrement sur la vaine fertilité de la campagne environnante.

La stérilité n’y est pourtant pas absolue. De loin en loin, parmi le peuple anonyme des herbes sèches, des asphodèles