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la structure de la muraille rocheuse qui le surplombe, tout se confond dans une même aridité monotone.

Après l’abreuvage des chevaux et des mulets, nous nous remettons en selle : cette fois, l’étape sera beaucoup plus brève, car, par un hasard providentiel, notre course au puits nous a singulièrement rapprochés de la Mer Morte.

L’aspect du pays devient de plus en plus désertique et farouche. A travers une succession de cuvettes, de cônes, de plates-formes qui semblent façonnées de main d’homme, la lapidation recommence : continuellement, des grêles de pierres noires, brûlées, comme émiettées par le soleil, — et, çà et là, des blocs isolés, d’une blancheur de chaux. Très loin, des pics bleuâtres surgissent par-dessus les fauves ondulations des terrains, — et leur altitude est comme un élargissement de l’horizon, comme une libération de la vue emprisonnée entre les médiocres ravinemens du Désert de Juda.

Nous montons lentement dans la direction des pics. Tout à coup, Abdallah, qui nous a devancés, agite ses longs bras maigres, du haut d’un escarpement. En-Gaddi est au-dessous ! Nos chevaux, entraînés par celui du moukre, prennent aussitôt le galop. A mesure que nous escaladons cette dernière pente, l’Asphaltite émerge des profondeurs du gouffre. Nous nous arrêtons au sommet d’une immense falaise, qui, d’une hauteur de trois cents mètres, domine le niveau de la mer. Alors, c’est quelque chose de si prodigieux que tout ce que j’ai vu, jusque-là, de plus extraordinaire, s’éclipse devant ce spectacle certainement unique au monde.


D’abord, le vide béant sous nos pieds, l’immensité de ces espaces bleus, les convulsions tragiques de cette nature travaillée par les feux souterrains, le soulèvement formidable de toutes ces masses géologiques, cela excède, par son énormité, la capacité ordinaire de la perception. On est comme hébété d’étonnement. Mais, tout de suite, la mer inerte, figée et brillante entre ses murailles de montagnes, détourne l’attention. Sous les buées des vapeurs matinales, la surface paraît solide comme une croûte de glace. De la hauteur où nous sommes, on ne distingue pas les plissemens innombrables des petites vagues : l’Asphaltite, d’un bout à l’autre, se déploie comme un bras de mer gelé.