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Vers quatre heures, un instant de répit nous permet d’embrasser l’immense étendue. Les pierres se raréfient. Nous sommes montés très haut. Le soleil d’hiver s’abaisse déjà vers le couchant. Je regarde derrière moi… Tout au fond de l’espace, bien loin, des coupoles et des tours, d’une blancheur neigeuse, se dessinent en contours distincts sur le bleu fluide du ciel. Plus près, d’autres blancheurs s’accusent derrière les ondulations sans fin des terres : c’est Jérusalem, et c’est Bethléem. Apparitions étranges dans cette solitude, profils aériens de cités célestes, elles dominent le désert qui en paraît transfiguré. A perte de vue, les collines ingrates se revêtent de nuances laiteuses, de reflets lilas et mauves, — et la mer effrayante des pierres resplendit en une longue houle vermeille. C’est une minute d’éblouissement que cette pause crépusculaire : minute où le cœur défaille de trop de beauté, splendeur trop brève, qui vous paie pourtant de toutes les fatigues et de tous les ennuis de la route !

Alors, devant ce désert plus féerique que les plus féeriques jardins, je conçois la stupeur de l’homme d’Occident égaré dans cette région des mirages. Je songe à ceux des nôtres qui passèrent par ces chemins. Quel jeu paradoxal de l’histoire ! Cette terre, où je suis, fut un fief de France. Un lourd Flamand y régna. Sans doute, le baron qui tenait Bethléem dans sa mouvance devait mépriser bien haut ce sol infertile, regretter ses bois, ses prairies et ses champs de là-bas. Pourtant, si éloigné qu’on le suppose de nos modernes façons de sentir, il est impossible qu’au fond il ne se trouvât point plus fier de commander ici que d’être un puissant seigneur dans ses Flandres ! Tout de même, — sur ces mamelons pierreux du Désert de Juda, on respire un autre air de gloire que dans les champs d’avoines devers Cambrai ou Valenciennes !…

Mais, déjà, la féerie est éteinte. En même temps que l’ombre froide du crépuscule s’étend sur la terre rembrunie, une détresse mélancolique vous pénètre comme si, derrière la splendeur éclipsée, les Portes de la Vie elle-même s’allaient fermer à tout jamais.

Je suis seul maintenant. Notre moukre, qui m’a distancé, n’est plus qu’une silhouette confuse, qui bouge, là-bas, dans la