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effet, d’un orateur révolutionnaire, de ce William Crooks dont les audaces déconcertaient le dernier parlement et qui espère bien braver et agiter encore les parlemens futurs de son ardente parole. Voici en quels termes, le 8 mai, il parlait à un meeting populaire, au moment où le danger de mort du souverain était soudainement révélé à ses sujets :

« Je suis peut-être un de ceux qui se trouvent en savoir plus long que les autres sur le Roi. Je sais, je sens que la paix du monde est en sûreté dans ses mains et qu’il est le plus grand homme d’Etat que possède l’Europe au moment où je parle. Vous me demanderez pourquoi je l’aime ? Est-ce parce qu’il est puissant ? Non : c’est parce que je sais qu’il aime les pauvres gens… Il est au-dessus des Tories, au-dessus des Libéraux, au-dessus des Socialistes. Nous aimons à porter nos yeux, tout en haut, vers lui, comme vers notre père à tous, à nous dire qu’il est là, qu’il nous regarde et qu’il est content de nous voir livrer chacun notre bataille selon nos moyens et comme nous l’entendons. Je prie Dieu de tout mon cœur de nous le conserver. »

Les vœux de William Crooks n’ont pas été exaucés et, quelques heures plus tard, la noble et utile existence dont il demandait la préservation avait pris fin. Mais il me semble que ces paroles émues, jaillies du plus profond de l’âme populaire, doivent être recueillies et qu’elles font à ce prince, qui détestait l’exagération et l’emphase presque à l’égal du mensonge, la meilleure des oraisons funèbres. Joignez-y deux mots, prononcés par le Roi lui-même, le mot qui ouvre son règne et le mot qui clôt sa vie : « Tant que j’aurai un souffle, je travaillerai au bien de mon peuple, » avait-il dit à son premier Conseil privé en prenant possession de la couronne. Et, en effet, moins de douze heures avant qu’il expirât, les médecins devaient, l’empêcher de se lever « pour travailler, pour donner une audience. » Quand il sentit que c’était la fin, il murmura : « J’ai tâché de faire mon devoir ! » Ne mêlons point notre rhétorique à ces choses simples et grandes. L’œuvre politique d’Edouard VII survit : elle le fera regretter plus encore si elle est détruite.


AUGUSTIN FXLON.