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rendaient faciles les négociations avec ses ministres. Il faut se rappeler qu’au début de son règne, l’Angleterre ne comptait guère que des ennemis. Elle était respectée : il entreprit de la faire aimer. Et comment ? En se faisant aimer lui-même. Il ramena l’opinion en lui faisant croire, ce qui n’était pas tout à fait vrai, que la nation britannique, c’était lui, et qu’elle possédait toutes les qualités qui plaisaient dans sa personne. Cette défiance envers les étrangers, parfois tempérée par une hautaine indulgence, parfois voisine du mépris, qui creusait un fossé, sinon un abîme, entre ses compatriotes et les continentaux, il n’avait pas à la dissimuler, puisqu’il ne l’éprouvait pas lui-même. Jusqu’où il poussait l’art de plaire, la coquetterie royale dont il était passé maître, un seul tout petit fait en donne l’exemple et la mesure. Il a été rapporté par un habitant de Marienbad, où il passait, chaque année une partie de l’automne. « Quand le Roi vient chez nous, il nous fait la grâce de parler l’allemand avec l’accent autrichien. » Biarritz, le séjour de printemps, aurait, sans doute, à nous offrir un témoignage analogue, quoique dans une note différente.

En essayant de comparer la politique de Victoria et celle d’Edouard VII, je me suis laissé entraîner. Revenons aux premiers jours du règne. Avant tout, il fallait mettre fin à cette guerre qui avait attristé les deux dernières années de la Reine et indisposé l’Europe, sans promettre à l’Angleterre, après tant et de si douloureux sacrifices, aucun avantage quelle n’eût pu réaliser sans tirer un coup de fusil, si, de part et d’autre, les bonnes volontés s’étaient unies. La paix de Vereinigen, on peut s’en convaincre en lisant les procès-verbaux des négociations, ne fut pas une œuvre de diplomates, mais de soldats. Les noms de Botha et de Kitchener y demeurent attachés, mais ils se savaient encouragés et soutenus, de loin, par le Roi pour qui cette paix fut un don de joyeux avènement. Il fallait qu’ils eussent achevé leur œuvre pour qu’Edouard VII pût commencer la sienne. Il attendit encore un an avant de l’entamer.

Je n’écris pas ici une biographie. Je n’ai donc pas à raconter les péripéties du couronnement préparé et attendu, puis ajourné ; la maladie du Roi déclarée à l’avant-veille de la cérémonie, alors que les étrangers arrivaient en foule et que les rues de la grande ville étaient déjà en toilette et en fête ; l’espoir, puis la certitude de la guérison royale succédant, presque aussitôt, et