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psychologique, elle nie l’existence des thaumaturges et des inspirées, des sorcières et des possédées. La « science moderne » ne connaît que des cas, plus ou moins singuliers, de névropathie, d’hallucination, d’extase. Pour cette école, l’action extraordinaire de Jeanne d’Arc s’explique par une prédisposition pathologique. Jeanne est une malade, elle est en proie à des crises de surexcitation nerveuse, relevant du vaste empire de l’hystérie.

La science ne serait pas pleine de doute au sujet de telles affirmations, qu’au nom de la science elle-même, il serait difficile de les accepter. Considérer Jeanne, une personne si droite, si vertueuse, si parfaitement équilibrée, si entière, comme une détraquée, une désordonnée, victime de tares physiologiques ou de lésions cérébrales, cela échappe complètement à la conception que nous avons normalement de la maladie et de la santé. Pendant les trois années qu’elle passe sous le verre grossissant de l’histoire, pas un acte vil, extravagant, incohérent ou seulement médiocre, pas une fausse note, hilarante ou mélancolique. Cette hardiesse, cette gaieté familière et sincère, cet entrain dans la bataille, devant les grands de ce monde, devant ses juges, dans sa prison, cette attache énergique à la plus noble des vertus féminines, la chasteté, est-ce là la tenue physique et morale d’une malade ? En sa pleine et vigoureuse activité, elle présente, au contraire, la réunion la plus extraordinaire de facultés puissantes, admirablement pondérées.

Le mieux est de se rallier à la conclusion de celui qui a signé la dernière « opinion médicale » sur « le cas » de Jeanne d’Arc, le docteur Dumas : « Par son intelligence, par sa volonté, Jeanne resta saine et droite, et c’est à peine si la pathologie nerveuse éclaire faiblement une partie de cette âme[1]. »

Mais alors, les « visions, » les voix, tout cet appareil ultraterrestre dont son propre témoignage a entouré sa vie ?… Puisqu’elle n’a jamais menti, elle a vu les anges et les saintes, elle a reçu les ordres divins, elle a perçu de ses sens et subi, de son intelligence et de sa volonté, toute cette intervention céleste qui lui imposa sa mission ; enfin, elle a accompli cette mission elle-même avec une incompréhensible maîtrise des hommes et des événemens… Si Jeanne n’est pas une visionnaire, une hallucinée,

  1. Opinion publiée dans les appendices du deuxième volume de l’Histoire de Jeanne d’Arc, par M. Anatole France.