Page:Revue des Deux Mondes - 1910 - tome 57.djvu/503

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

De l’un à l’autre, elle gagne ; sans cesse, elle se porte en avant et met sa preuve à la pointe d’une promesse, et dans la désignation d’un acte : « Donnez-moi des hommes d’armes, et nous délivrerons Orléans : ce sera cela, mon signe ! »

Il y avait, en elle, des qualités très fortes et très apparentes. On la trouvait active, intelligente, judicieuse au-delà de ce qu’on pouvait attendre d’une simple paysanne : « Hors des faits de guerre, dit le Duc d’Alençon, elle était simple et jeunette ; mais, à la guerre, elle se montrait entendue tant au port de la lance qu’à l’ordre d’une armée et à la préparation d’une bataille et surtout de l’artillerie. Un vieux capitaine de vingt ou trente ans de guerres, surtout pour l’artillerie, n’eût pas mieux fait. » (III, 100.) L’artillerie, l’arme moderne par excellence, celle qui demande le plus de réflexion et de jugement !

Le tribunal et les témoins à Rouen pensaient aussi qu’elle répondait mieux qu’un docteur ; et de cela il nous est facile de nous rendre compte. Elle faisait excellemment ce qu’elle avait à faire. On voit bien qu’elle était personne de grand entendement et de féconde méditation. Ses interrogatoires révèlent une spontanéité prodigieuse, mais aussi une réflexion soutenue dans l’intervalle des audiences[1].

En plus, elle avait l’art inconscient de tenir les imaginations en éveil. Tout en déjeunant en tête à tête avec le Duc d’Alençon, qui l’écoutait émerveillé, elle lui disait « qu’elle en savait encore plus et pouvait encore plus qu’elle n’avait dit à ceux qui l’interrogeaient. » (III, 92.) N’oublions pas le prestige indicible des quatre grandes promesses sans cesse répétées : qu’elle dégagerait Orléans, ferait sacrer le Roi à Reims, libérerait le Duc d’Orléans, chasserait les Anglais hors de France. Comment mettre en doute une confiance au succès qui, par elle seule, est une force ?

On organise le secours d’Orléans. Dès la rencontre avec Dunois, elle le prend sur le même ton d’assurance et de familiarité cordiale : « N’êtes-vous pas le bâtard d’Orléans ? — Oui, et je

  1. Napoléon dit à Rœderer : « Moi, je travaille toujours ; je médite beaucoup. Si je parais toujours prêt à répondre à tout, à faire face à tout, c’est qu’avant de rien entreprendre, j’ai longtemps médité, j’ai prévu tout ce qui devait arriver. Ce n’est pas un génie qui me révèle, tout à coup, en secret, ce que j’ai à dire ou à faire, dans une circonstance inattendue pour les autres. C’est la méditation… » Il dit encore : « Militaire, je le suis parce que c’est le don particulier que j’ai reçu en naissant ; c’est mon existence, c’est mon habitude. Partout où j’ai été, j’ai commandé… » Dans Sainte-Beuve, Causeries du Lundi, VIII (p. 309). Les grandes âmes s’expliquent ainsi l’une l’autre.