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des bruits qui circulèrent à la Cour[1] ; mais on n’en connut jamais rien de bien précis, puisque Jean d’Aulon lui-même, écuyer, placé par le Roi près de Jeanne d’Arc, déclare, qu’à ce sujet, il ignore. (IV, 209.)

Quoi qu’il en soit, le Roi fut convaincu par ce que lui dit Jeanne. « Secret » ou « signe, » il s’agit toujours, en somme, de ce qui fait le nœud de tout le drame : la promesse formelle de la couronne par l’hérédité et par le sacre. Le vrai miracle de la vie de Jeanne d’Arc est toujours le même : la promesse d’accomplir et l’accomplissement.


II

Dès le début de sa carrière jusqu’à son succès qui fut le sacre de Reims, elle s’éleva, pour ainsi dire, d’échelon en échelon, soutenant le présent par l’avenir, mais aussi gagnant du présent à l’avenir, à l’aide de réalisations progressives et annoncées. C’est le procédé de tous les grands esprits : ils indiquent et ils font. Ils ébranlent les esprits et les jettent dans l’action par la foi. On dit qu’elle parlait très bien, « multum bene loquebatur, » et qu’elle exerçait une grande séduction. (II, 450 ; III, 31.) Surtout, elle avait l’autorité, c’est-à-dire le don de commandement naturel aux personnalités fortes et désintéressées. Par une impulsion, à l’origine de laquelle il y avait toujours un parti pris vigoureux, elle entraînait les convictions, « et Dieu faisait le reste. »

C’est ainsi, qu’ayant à persuader Robert de Baudricourt, elle gagna, d’abord, son oncle Lassoit et les gens de Vaucouleurs, Henri Le Royer, Jean de Novellompont, tous deux grâce à la prophétie, « que la France, perdue par une femme, sera sauvée par une vierge venue des marches de Lorraine. » (II, 447.)

Après avoir ainsi frappé les imaginations, elle les saisit par son ton de confiance et d’assurance. Novellompont, comme Baudricourt, a commencé par se moquer d’elle : « Eh ! l’amie, qu’est-ce que vous faites ici ? Faut-il que le Roi soit chassé de

  1. On a fait grand état du récit de Pierre Sala, écrit en 1516, c’est-à-dire près de cent ans plus tard, dans les Hardiesses des grands Rois et Empereurs, et où il répète ce qui lui aurait été dit, à lui-même, par Guillaume Gouffier seigneur de Boissy, confident du roi Charles VII. Mais, à regarder les choses de près, le récit de Boissy ne diffère pas sensiblement de celui de Jean Pasquerel qui avait déjà passé, plus ou moins altéré, dans le Journal du Siège d’Orléans (IV, 128) et dans le Miroir des femmes vertueuses (IV, 267).