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« — Je veux bien qu’on leur envoie un messager ; mais c’est moi qui leur écrirai ce que c’est que ce procès ; autrement, inutile. »

Le juge n’a plus qu’à échafauder, sur ce point capital, l’article II de la sentence : « Jeanne, tu as dit qu’un ange, accompagné d’une multitude d’autres et de saint Michel, des saintes Catherine et Marguerite, est venu à Chinon, qu’il s’est incliné devant le Roi, qu’il lui a apporté une couronne, etc. Tous les clercs sont d’avis que c’est un mensonge présomptueux, illusoire, pernicieux, un office humiliant et dérogeant à la dignité des anges… etc. » (I, 431.)

Sentit-elle le péril de ces récits où elle s’était laissé entraîner, du bien, comme il est possible, a-t-on voulu faire croire qu’on aurait obtenu d’elle un désaveu sur ce point comme sur les voix : quoi qu’il en soit, dans les « actes postérieurs, » que les greffiers ont, d’ailleurs, refusé de valider et, par conséquent, suspects de fraude, il est dit qu’il fut déclaré par elle que son récit était une fiction, fictio quædam (I, 481), qu’aucun ange du ciel n’était venu vers le Roi, que c’était elle, Jeanne, qui était l’ange (c’est-à-dire la messagère)ayant promis au Roi qu’elle lui apporterait une couronne et le ferait couronner à Reims ; qu’en fait, il n’y eut ni signe, ni couronne de la part de Dieu. Et, à maître Loiseleur, elle aurait déclaré et répété, le mercredi, veille de la fête de l’Eucharistie, « qu’il n’y avait ni ange, ni couronne, et qu’il s’agissait simplement de la promesse du couronnement qu’elle avait apportée au Roi, ajoutant qu’elle-même le ferait couronner à Reims. » (I, 479-484.)

Elle aurait donc expliqué le plus adroitement qu’elle put les aveux tournés contre elle et elle aurait présenté le récit qui lui avait été arraché comme une sorte de symbole de sa propre mission. Ne pouvant s’opposer tout à fait au système de ses adversaires et ne voulant rien révéler de ce qu’elle considérait comme le plus intime du secret entre elle et le Roi, elle se serait tirée d’embarras en apportant uniquement comme signe l’affirmation du succès. Elle est la messagère « de par Dieu » et elle apporte la couronne de Reims. Voilà tout.

Elle en revenait, ainsi, à sa réponse aux clercs de Poitiers : Mon signe, ce sera l’accomplissement. Elle avait fait comme elle avait annoncé. La couronne était, maintenant, « dans le trésor royal » et « pour plus de mille ans ! »