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La question du « signe » fut, après celle de la communication directe avec le Ciel, la grande bataille du procès de Rouen. Si Jeanne a réellement apporté au Roi un « signe, » la légitimité de la dynastie de Valois est consacrée, en même temps que l’authenticité de la mission divine. À tout prix, il fallait embarrasser Jeanne, la pousser à des aveux ou, du moins, à des précisions dont on pût tirer parti contre elle et contre te Roi. Elle avait compris ce dessein et, dès l’abord, elle refusa de s’expliquer. Le silence fut sa première défense. À la fin seulement, enlacée par l’argumentation de l’évêque, lasse, navrée, malade, elle crut qu’elle ne pouvait plus s’en tenir à une simple négation ; elle entra dans la voie qu’on ouvrait perfidement devant elle, probablement en abusant d’une légende qui s’était déjà répandue, et elle indiqua, en paroles d’ailleurs obscures, ce qu’on appelait « le signe. »

Cet épisode dramatique peint l’époque ; il met en scène tous les personnages, dévoile les roueries de l’attaque, la candeur de la défense et jusqu’aux perfidies patelines du procès-verbal de la procédure.

Dès le début de l’interrogatoire, quand Jeanne est invitée à prêter serment, elle déclare qu’elle dira, sous la foi de ce serment, tout ce qu’elle a fait, mais qu’elle se taira sur ses révélations et sur ce qu’elle n’a dit à personne sauf au roi Charles, lui couperait-on la tête ; ses voix le lui interdisent (I, 45). Le 27 février, le juge s’y prend plus habilement : « Les voix lui ont-elles interdit de parler de ses révélations sans leur autorisation ? » Elle : « Je répondrai si j’ai licence ; sinon, non. »

Mais, déjà, elle a raconté les apparitions de sainte Catherine et de sainte Marguerite. On part de là : « Quel signe apporte-t-elle de sa mission divine et des entretiens avec sainte Catherine et sainte Marguerite ? » — « Je vous en ai dit assez, répond-elle ; croyez-moi, si vous voulez. » Le juge ne perd pas de vue son objectif : « Quand les voix se font entendre, il y a, dites-vous, une lumière ?… Il est venu un ange sur la tête du Roi ; quand vous l’avez vu la première fois[1]… » Elle interrompt : « Par

  1. L’origine de cette légende de l’ange portant une couronne s’explique aisément par la symbolique du temps : Aux fêtes données à l’entrée de Richard II dans Londres, en l’année 1377, « au marché de Cheapside, on avait érigé un bâtiment ayant la forme d’un château… Pour terminer la représentation, un ange descendit du haut du château et offrit au roi une couronne d’or. » J. Lingard, Histoire d’Angleterre, t. II (p. 274).