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mettais en « grand dangier, » étant votre juge, dites-moi, qu’est-ce que vous entendez par-là et en quel péril et dangier serions-nous, moi et les nôtres ? » — « Je vous ai dit, répond-elle, que vous vous dites mon juge, que je ne sais si vous l’êtes ; mais, prenez garde à ne pas rendre un mauvais jugement, car vous vous mettriez en grand péril ; je vous préviens. Si Dieu vous punit, du moins j’aurai fait ce que je dois faire en vous avertissant. » (Procès, I, 62, 154.)

« Fille Dieu, fille Dé, » c’est ainsi qu’elle s’appelait elle-même. Dieu, « le sauveur des hommes » était son souverain seigneur, « messire » comme elle disait encore, son chef et son conseil constant. À Novellompont, qui lui demande quel est son seigneur : « C’est le Roi du Ciel. » Dans la lettre aux Anglais : « Jésus, mon droiturier et souverain Seigneur. » Et au fort de la mêlée : « En avant, gentil duc, à l’assaut ; l’heure est venue, désignée par Dieu ; œuvrez et Dieu œuvrera. » (III, 96.) C’est Dieu qui commande, décide et agit : « Tout ce que je fais, je le fais par ordre de Dieu et, s’il me disait de faire, je ferais, parce que c’est son ordre. » (I, 74.) Tout se rapporte à Dieu : la France est « le royaume de Dieu, » le Dauphin, son Dauphin, le Duc d’Orléans, « son duc cher ; » elle dit qu’ « elle sait bien que Dieu aime le duc d’Orléans. » (I, 55, 254, 257.) Elle demande à Charles VII qu’il lui remette le royaume pour qu’elle le rende à Dieu, dont lui, à son tour, le tiendra « en commande. »

Tel est le sens intime et profond de sa vocation. Tout le reste est accessoire et secondaire. L’expression dont elle se sert, le plus souvent, pour qualifier l’ordre qui lui vient d’en haut, c’est « mon conseil, » ou « la voix. » Il est remarquable que, des anges et saintes qui lui furent envoyés, il n’est pas fait mention une seule fois avant le procès. Jusqu’à ce qu’elle eût été poussée par les arguties captieuses des juges, sur ce secret, elle s’était tue. Elle est, pour tous, « l’envoyée de Dieu, » ou « l’ange de Dieu, » rien autre chose.

Dans la fameuse scène, dont Dunois fut témoin à Loches, le Roi voulut savoir ce que c’était que le « conseil » de Jeanne et, en réponse à l’interrogation royale, elle s’expliqua : « Quand je suis en peine et qu’on ne me croit pas, je me tire à part et prie Dieu et lui demande pourquoi on ne me croit pas. Aussitôt la prière achevée, j’entends une voix qui me dit : Fille Dé, va, va, va, je serais à ton aide, va ; et quand j’entends cette voix,