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partis l’un contre l’autre, il faut bien croire que le Roi les a provoquées pour chercher une transaction. Rien n’était plus conforme à ce qu’on sait de son caractère. Toutefois, s’il en a été ainsi, le Roi a échoué. Il était trop tôt ; les deux partis étaient trop montés l’un contre l’autre ; chacun des deux escomptait la victoire finale. C’est pourquoi le budget a été rejeté, il a fallu procéder à des élections, et il faudra sans doute procéder bientôt à d’autres élections encore, car les premières n’ont pas été décisives : en dehors du budget lui-même, elles n’ont tranché aucune des questions posées. Situation irritante, énervante, fatigante, dont on ne voit pas comment elle pourra se dénouer.

Peut-être, si le Roi avait vécu, l’heure aurait-elle sonné où cette fatigue générale lui aurait permis d’intervenir plus utilement que par le passé. Aux qualificatifs que nous avons appliqués à la crise, il faut ajouter en effet celui de paradoxal. La politique suivie par les deux partis doit les acculer à une dissolution et à des élections nouvelles, et ils désirent aussi ardemment l’un que l’autre échapper à cette nécessité. L’immense effort qu’ils viennent de faire les a épuisés de toutes les manières, même pécuniairement : les élections coûtent très cher en Angleterre, et l’idée de les recommencer à quelques mois d’intervalle est repoussée par tout le monde comme un cauchemar. Depuis les dernières, les affaires ont repris avec une grande activité ; elles sont aujourd’hui très prospères ; chacun est en train de réparer les pertes qu’il a faites ; enfin on a besoin d’argent pour subvenir aux charges du budget. Aussi l’Angleterre laborieuse demande-t-elle qu’on la laisse travailler tranquille. Des élections suspendraient une fois de plus son activité économique : cette perspective la révolte, elle est toute prête à maudire les hommes politiques qui l’y engageraient. C’est un curieux spectacle qu’elle donne : jamais les politiciens professionnels n’ont été agités de passions plus vives, et jamais le pays n’a eu un plus grand besoin de repos. On a vu, dans d’autres crises, le pays en fermentation, en ébullition, multiplier les manifestations dans un sens ou dans l’autre. Rien de pareil aujourd’hui : le pays a l’air indifférent et peut-être l’est-il en effet. Il est impossible que les hommes politiques ne s’en rendent pas compte. Aussi quelques journaux ont-ils entamé une campagne pour demander une trêve de quelques mois. Inaugurer le règne de George V au milieu des agitations les plus violentes serait tout le contraire du don de joyeux avènement qu’aimaient nos pères. Le nouveau Roi lui-même, poussé inopinément et brusquement sur le trône, serait à coup sûr reconnaissant à ses sujets de lui donner le temps de réfléchir avant de le