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en conflit, non seulement en Europe, mais en Asie, et il semblait presque qu’on violât une tradition respectable en faisant tomber cette opposition et en dénouant ces conflits. Cependant l’obstacle n’était pas insurmontable ; une volonté ferme devait en venir à bout. Les hommes d’État russes et anglais avaient compris l’utilité d’un rapprochement ; mais il n’est pas douteux que le roi Edouard a apporté, cette fois encore, un concours précieux à l’œuvre commune. Si sa volonté n’était pas plus forte, elle était souvent plus claire que les autres ; il apercevait mieux les moyens à employer et il savait admirablement les mettre en œuvre. Il a été le conseiller de ses conseillers, et le parfait accord qui existait entre lui et eux a été un des facteurs les plus actifs de la politique de ces dernières années. Les ministres ont pu changer, la politique est restée la même, non pas parce que c’était celle du Roi, — cette condition n’aurait pas suffi, — mais parce que c’était celle du pays lui-même, et que l’opinion l’avait consacrée. Cette considération est rassurante sans doute. La mort d’Edouard VII n’amènera certainement aucune perturbation dans les relations extérieures du Royaume-Uni. La politique restera la même. Qui sait cependant si, dans sa partie exécutive, elle n’aura pas perdu un agent incomparable ? Le roi Edouard avait cette qualité un peu mystérieuse dans son origine, bien qu’elle soit si évidente dans sa manifestation, qu’on appelle l’autorité. C’était là un trésor précieux, et qui ne l’était pas seulement pour l’Angleterre. Ce trésor, qu’il emporte avec lui dans la tombe, est le plus difficile de tous à reconstituer.

Si on demande quelle a été l’idée générale de la politique à laquelle ses efforts ont été consacrés, il est facile de l’énoncer : c’est l’idée de l’équilibre des forces en Europe, idée ancienne, et que, pour ce motif, une politique présomptueuse a quelquefois qualifiée de surannée, mais dont la réalisation a toujours paru aux yeux du bon sens la meilleure garantie de la paix. Nous sommes convaincus que tous les gouvernemens, sans exception, veulent la paix ; l’Allemagne, — pourquoi ne pas la nommer, puisque c’est pour lui rendre justice ? — l’Allemagne l’a toujours voulue, car, si elle avait voulu la guerre, rien n’aurait pu l’empêcher de la faire. Mais une puissance excessive et sans contrepoids est un danger pour elle-même Les tentations sont fortes lorsqu’on croit, à tort ou à raison, que les risques à courir sont moindres pour soi que pour les autres. On reste pacifique sans doute, mais on se dit qu’après tout, si le fléau se déchaîne, les meilleures chances sont de son côté, et, sans même qu’on s’en rende compte, le sentiment de la