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s’est pas manifestée aux élections d’hier aussi ouvertement qu’aux précédentes, mais, sous des formes plus enveloppées, elle n’a pas été moins intense dans la plupart des départemens et la candidature officielle n’a pas cessé de jouer son rôle. C’est que les préfets et les sous-préfets ont partie liée avec les députés actuels ; ils font, les uns et les autres, partie de la même ligue d’assurance mutuelle, et ce ne sont pas quelques paroles ministérielles, même éloquentes, qui donneront aux intérêts une direction différente et modifieront des mœurs invétérées. Il faudrait, pour cela, quelques exemples éclatans d’une volonté résolue à se faire respecter, et on les attend encore. En attendant, les préfets savent fort bien qu’ils n’ont rien à craindre de leur ministre, tandis qu’ils ont tout à craindre de leurs députés, s’ils n’ont pas réussi à les satisfaire ; et, dans le domaine de leurs espérances, ils savent aussi que, seules, sont destinées à se réaliser celles dont les députés feront leur affaire.

Si les préfets sont dans la main des députés, ceux-ci à leur tour sont dans celle de leurs « amis, » répandus à travers tout l’arrondissement et qui, dans les communes où le maire ne leur appartient pas, sont représentés par le « délégué. » Le « délégué » a été une des créations les plus flétries de M. Combes ; à un certain moment, tout le monde les a désavoués ; on n’en parlait qu’en se voilant la face et il était convenu que la race en disparaîtrait ; mais elle continue de pulluler, et il ne peut pas en être autrement dans un régime dont le fonctionnement repose tout entier sur la réciprocité des services rendus aux personnes. Le do ut des est le dernier mot de la politique actuelle. Chacun donne ce qu’il peut et demande en retour davantage. Et on ne se contente pas de profits matériels, on en veut aussi de moraux, ou d’immoraux, pour mieux dire, sous la forme de vengeance contre les adversaires ou même contre les indifférens. Quiconque n’est pas pour moi est contre moi, disent volontiers les maîtres de l’heure, et ils s’appliquent à faire sentir qu’il est dangereux d’être contre eux. Nous lisions ces jours-ci un petit livre intitulé : En province, publié chez l’éditeur Grasset, dont l’auteur, M. Henri Chantavoine, connaît assurément très bien la province politique et a su en faire un portrait ressemblant. Après avoir parlé des « amis » du député dont la vanité cherche seulement à se donner de l’importance : « Ceux-là au moins, dit-il, sont Inoffensifs, mais il y en a de plus méchans. Ce sont ceux qui font servir l’amitié protectrice et toute-puissante de M. le Député à l’âpre satisfaction de leurs convoitises ou aux ressentimens et aux représailles de leurs rancunes. Les mœurs que l’on prêtait jadis à la Corse et à