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radicaux, sans toutefois se confondre avec eux, pendant que les radicaux s’intitulaient socialistes tout en se rapprochant des républicains de gauche. Comment se reconnaître dans cette confusion qui rappelle un peu celle de la tour de Babel ? Personne, ou presque personne ne veut être exactement ce qu’il est, et le sentiment que M. Paul Deschanel a si bien défini un jour, en l’appelant « la peur de ne pas paraître assez avancé, » continue d’opérer ces métamorphoses. On a vu jadis, pendant la première et la grande Révolution, des gens endosser la carmagnole, dont les véritables opinions, lorsqu’elles ont pu se manifester sans inconvéniens, se sont trouvées très modérées, et même quelque chose de plus. Sans vouloir médire du personnel politique actuel, nous croyons qu’il ne représente l’opinion vraie du pays qu’à la condition de baisser d’un cran ou de deux le sens naturel des mots dont il s’affuble. A la vérité, il y a eu la contre-partie et un grand nombre de radicaux et de radicaux-socialistes ont fait des programmes tout à fait bénins : on aurait pu les prendre pour des progressistes. Il en a été ainsi dans toute la campagne électorale : à quelques honorables exceptions près, les modérés ont pris aux radicaux-leurs étiquettes, et les radicaux ont pris aux modérés quelque chose de leurs programmes, les premiers pour se concilier les comités avancés, les seconds pour ne pas trop effaroucher le pays.

Quel a été, en fin de compte, le résultat de toute cette stratégie ? Si on met en balance les pertes et les gains des divers partis, elles se compensent et, à peu de chose près, chacun couche sur ses positions. Assurément, on pouvait désirer mieux, mais le souvenir du passé ne permettait guère de l’espérer, et, au total, les élections d’hier sont les moins mauvaises que nous ayons eues depuis longtemps. Nous étions habitués à voir, tous les quatre ans, le mouvement vers la gauche s’accentuer et se précipiter. En 1906, à la veille des-élections, le sentiment général était que les partis avancés perdraient du terrain et, au lieu de cela, ils en ont gagné. Après cette expérience, après cette déception, il était devenu téméraire d’émettre des pronostics nouveaux ; aussi s’en est-on abstenu à la veille du 24 avril, et nous avons signalé, dans notre dernière chronique, l’espèce d’apathie avec laquelle les élections étaient attendues. Il y avait là, à la fois, de la lassitude et du découragement. Advienne que pourra : on y était résigné d’avance. Mais un travail silencieux et profond s’était fait dans les esprits. Sans doute, le pays n’a pas reculé, mais il a refusé d’avancer davantage, et aux radicaux socialistes, aux socialistes unifiés, enfin aux partis extrêmes qui annonçaient de prétendues réformes