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toutes ses exigences, il se voit contraint de faire la part du feu. Il achète bien des vaisseaux de guerre, des canons, des fusils, élève des fortifications, construit des chemins de fer, ouvre des écoles, mais il néglige les routes anciennes ; ses monumens publics ont un aspect misérable, ses canaux sont délabrés, les digues des fleuves ne sont plus suffisamment entretenues. C’est au détriment de tous les organes de sa vie passée que la Chine paie nos inventions. Ses fonctionnaires n’ont qu’un traitement dérisoire, quand ils en ont. Un vice-roi qui groupe sous son autorité deux provinces et qui gouverne de quarante à cinquante millions d’hommes n’a que trente mille francs. Les appointemens ne peuvent pas toujours suffire à payer ses dépenses. Aussi bien des mandarins ne donnent-ils aucun traitement à leur personnel qui est obligé de se rattraper sur le peuple qu’il pressure. Ils en gémissent, mais ne peuvent faire autrement que de tolérer ces abus. Eux-mêmes, trop souvent, vivent sur le pays et y sont forcés d’autant plus qu’ils achètent parfois leurs fonctions. En effet, s’il est vrai qu’une des règles fondamentales de l’administration chinoise est que les fonctions publiques sont données au mérite, que chaque année des examens et des concours ont lieu auxquels participent par milliers les candidats aux grades de « talent orné » (bachelier), d’ « homme promu » (licencié), et de « docteur arrivé, » et qu’à la plupart de ces diplômes sont attribués les emplois publics, il n’est pas moins vrai qu’une partie est octroyée à la faveur ou vendue à prix d’argent. Des banques existent dont la principale opération consiste à avancer l’argent nécessaire à cette acquisition. Certaines nominations sont ainsi l’objet d’enchères auprès des personnages influens, et l’on cite tel poste dont l’obtention coûte à chacun de ses titulaires successifs des centaines de mille francs. De telles pratiques résultent des conditions dans lesquelles les mandarins exercent leurs fonctions. La dynastie mandchoue, voulant empêcher toute conspiration, a décidé qu’aucun emploi ne pourrait être occupé plus de trois ans par le même titulaire et que celui-ci ne pourrait pas être natif de la province où il exerce son mandat. Ce système a bien réussi à la vérité à empêcher tout concert entre les fonctionnaires, mais il les condamne à être constamment errans. De plus, ils vivent dans leur poste comme des étrangers, et ne s’inquiètent pas des besoins de leurs administrés auxquels aucun lien ne les rattache.