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La réforme financière lui apparaît aussi comme capitale. Dernièrement, il envoyait à Paris même des agens pour se procurer les meilleurs ouvrages sur les finances publiques afin de les étudier, et il vient de commencer cette réforme difficile par la nomination de trésoriers généraux provinciaux qui centraliseront les fonds jusqu’ici disséminés en des caisses diverses.

En résumé, et si l’on ne consulte que ses actes, on peut dire que le prince qui préside aujourd’hui aux destinées de la Chine est un homme plein de bonne volonté, de moralité, qui a une haute conscience de ses devoirs d’homme d’État, et souci du bien public, et qui croit, ainsi que beaucoup de Chinois, qu’en adoptant le système politique qui prévaut en Occident, la Chine deviendra forte comme les nations étrangères et même pourra les surpasser grâce à son innombrable population. On peut dire aussi que, grâce à lui, le mouvement qui emporte la Chine, à la suite de tous les autres peuples, vers une forme démocratique du gouvernement est lancé sur une pente où il ne se heurte pas aux obstacles que des mouvemens semblables ont rencontrés partout.

Toutefois, pour mener à bien l’œuvre de la transformation de la Chine, ni la bonne volonté du gouvernement chinois à se plier aux nécessités de la situation, ni l’évolution de la mentalité chinoise ne sauraient à elles seules suffire, il faut encore d’abondantes ressources financières et une administration probe, et bien organisée ; et l’une et l’autre font actuellement défaut. En Chine, il n’y a presque pas de capitaux ; le peuple est pauvre et n’a pas d’économies. On parle bien des grosses fortunes de quelques mandarins, mais ils sont en petit nombre et, à eux tous, ils ont quelques centaines de millions. Nous sommes bien loin des milliards que représente la richesse publique en France, en Angleterre ou en Allemagne. Les commerçans chinois classés comme riches seraient des gens qui seraient regardés comme simplement aisés en Europe. A Changhaï où se trouvent un grand nombre de Chinois dits riches, il n’y en a pas un seul qui vaille, suivant l’expression américaine, dix millions. Beaucoup sont considérés comme riches, qui ont bien au-dessous de cinq cent mille francs. Le numéraire fait défaut. Une commission, nommée en 190 i-par les États-Unis en vue de faire connaître les ressources financières de la Chine et l’importance de son stock métallique, n’attribue à ce dernier qu’une valeur de trois milliards